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dimanche 31 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -3-

J’avais en la matière une expérience antérieure qui me sembla a priori excellente, et qui se révéla, a posteriori, un désastre. J’avais, durant mes années de faculté, travaillé au service des Relations extérieures d’une grande entreprise de recherche et d’exploitation pétrolière. J’étais « conférencière ». Mon travail consistait, en toute simplicité, à améliorer l’image de marque de la société, en expliquant, arguments scientifiques à l’appui, comment les « pétroliers » étaient des gens consciencieux, attentifs à l’environnement, et préoccupés par l’avenir économique et humain de leurs semblables. Imaginez que tout cela se déroulait sur fond d’Amocco Cadiz, et vous comprendrez combien cette formation aux relations publiques fut enrichissante.
Oui, mais voilà, les relations publiques n’ont strictement aucun rapport avec la démarche pédagogique, et si cette expérience me fut par la suite utile pour ranimer avec brio l’intérêt d’une classe inattentive, elle me plongea au début dans un abîme d’erreurs. J’essayais de vendre à mes élèves, à grand renfort de séduction et de diplomatie, les rudiments de la gestion et ceux, encore plus modestes de l’informatique. Ils s’amusaient beaucoup de cette gentillesse inaccoutumée, de ce manque d’autorité, et de ce discours commercial. Il en résulta pour moi l’année la plus périlleuse de ma carrière, navigant par gros temps à chaque intervention, redoutant chaque heure de cours comme une bataille dont je connaissais l’issue inéluctable, chahut et inattention.

Tout cela se déroulait sur un emploi du temps proprement délirant, une heure un jour, deux heures le lendemain, des kilomètres permanents, des nuits passés sur un canapé chez ma mère qui n’avait pas de chambre à m’offrir, et surtout la hantise de chaque nouvelle confrontation. Lorsque la fin de l’année arriva, et que je fis ma déclaration d’impôts, je décidai de déclarer mes frais au réel, et non de retenir le forfait de 10% attribué normalement aux salariés. Le résultat était, bien sûr, terriblement négatif. L’effet ne se fit d’ailleurs pas attendre : l’année suivante, un inspecteur des impôts aussi terrible que stupéfait, me convoqua, exigea des comptes et des explications, et finit par conclure, désespéré : « Mais vous allez continuer longtemps ainsi ? ».  Non, bien sûr, et aussi douloureuse que soit cette année d’apprentissage, je décidai de passer cette année-là le concours d’entrée dans l’Education Nationale.
Ayant été reçue au CAPET d’économie et gestion, je démarrai alors ma carrière officielle. Un maître de stage compétent et sympathique m’apprit sans détour les ficelles du métier. C’est en 1984, enceinte de Marie et sans aucune préparation, que je passai, et obtint, l’agrégation de la même matière, ce qui me permit d’améliorer ma situation financière, pédagogique et m’apporta quelques encouragements pour ce métier qui devait finalement, sans que je m’en sois jamais douté, être ma vocation.

vendredi 29 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -2-

Fils d’émigrés italiens, élève brillant qui avait réussi dans le système républicain grâce aux bourses que l’on distribuait alors au mérite à ceux dont l’Etat espérait qu’ils formeraient ensuite l’élite de la nation, mon père vouait à l’Instruction Publique un respect sans borne, et s’émouvait à l’avance de cette petite école qui accueillerait et formerait ses petites filles.  Ma mère, plus discrète, avait froncé les sourcils d’un air un peu grondeur : nous n’avions pas d’enfant en 1980, et cette remarque lui semblait maladroite. Pourtant elle partageait forcément cet enthousiasme, elle qui vouait à ses anciennes institutrices un souvenir ému, et qui n’avait abandonné son poste de jeune enseignante que pour  des motifs futiles, mais inattaquables, d’inconfort et de panique incontrôlée devant la tâche ingrate qui l’attendait. Nommée dans une école reculée de la campagne Forézienne, elle prit peur en arrivant dans son nouveau poste, insalubre et malsain, et ne put supporter la perspective insurmontable d’enseigner à ces têtes bornées et morveuses qui la regardaient comme une bête curieuse, trop élégante, trop raffinée. Elle démissionna dans l’heure, et décida illico de trouver un travail plus adapté à ses ambitions de vie. Même respect de l’institution scolaire du côté de chez Michel, fils de professeur, petit-fils et arrière petit fils d’instituteurs périgourdins, et qui a grandi dans une ambiance de respect des hussards noirs de la République.

Mais le rêve de mon père devant cette petite école de campagne n’est encore que virtuel, car comme je le disais en 1980 nous n’avons toujours pas d’enfants. Choix qu’on ne peut dire raisonné, mais c’est sciemment que nous continuons à vivre nos découvertes et notre construction de la vie à deux seuls. Cette optique vaguement hédoniste et nécessairement égoïste nous apparaîtra un jour réductrice et dangereuse. Nous prendrons conscience alors qu’il est dans la nature de l’amour de donner, d’élargie son d’action, donc de procréer.
En attendant, je cherche du travail. La proximité de la ville de Cognac nous avait quelque peu réconfortés lors de notre installation en ces lieux reculés. Il nous semblait que la quantité de maisons de négoces, d’entreprises liées à l’activité des spiritueux, était rassurante, et devait m’offrir des débouchés en lien avec mes études et mon niveau universitaire. Nous étions d’une naïveté déconcertante, et a posteriori nous avons compris qu’ici plus qu’ailleurs, trouver du travail sans relations relevait de la plus pure utopie. Celles que nous fîmes intervenir étaient obsolètes ou insuffisantes, sans doute le sont-elles toutes. Je commençais à désespérer, et allais même jusqu’à faire bénévolement des traductions franco-italienne et vice versa pour l’organisme manitou du secteur, le Bureau International du Cognac, espérant, en vain, qu’on m’en serait un jour reconnaissant. Une telle candeur a de quoi faire sourire les gens du cru, et sans doute furent-ils ravis de cette aubaine inespérée, sans jamais se sentir à mon égard la moindre obligation, j’étais par trop simplette dans mes attentes !

Il me fallut donc trouver autre chose, et ce fut par l’intermédiaire de l’APEC que je trouvai un emploi de maîtresse auxiliaire dans un lycée privé sous contrat de l’Académie de Bordeaux. Cet établissement, bien sous tous rapports, mais terriblement esclavagiste, m’offrit le contrat suivant : 6 heures de cours par semaine, soit un tiers-temps et un salaire à l’avenant, sur 4 jours. Il s’agissait tout simplement de faire des cours d’informatique et de gestions à de jeunes gamins insupportables qui n’en avaient cure. L’informatique, dans ces années reculées, se limitait au niveau de l’enseignement à un brouet théorique vaguement pédant, et à approche tâtonnante du langage Basic. Pour la théorie, je m’offris TOUS les livres que je trouvais dans les librairies bordelaises, développant à qui mieux mieux la définition sésame de la matière « analyse automatique de l’information ». Pour la pratique, je m’initiai sans trop de problème à la logique de base de ce langage anglo-logique, et développai avec mes élèves des petits programmes d’une niaiserie surprenante. Le plus dur fut de faire face à l’agitation chronique de ces jeunes gens (la majorité de mes élèves était des garçons), impertinents et troublés par ma gentillesse et mon inexpérience.

mercredi 27 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -1-

« Bonne année »… nous heurtons gaiement nos verres, assis sur des caisses mal assurées. Notre repas de fête est sobre : quelques crevettes grises, parfumées à l’anis étoilé, de celles qu’on déguste en cornet sur les bords de la Gironde, une boîte de pâté made in Périgord par belle-maman et du pain à moitié frais. Dès le premier jour, nous avons découvert une des coutumes locales, le pain « froid », c’est à dire, par un de ces étranges euphémismes dont nous apprendrons peu à peu la signification, du pain de la veille. Nouveaux venus dans le village, nous avons été victimes de cet usage inhospitalier qui consiste à refiler les restes aux gens de passage, gardant pour les natifs le pain « chaud ». 
C’est le premier janvier 1980, le temps est clair et doux, et nous venons d’arriver dans cet appartement lumineux mais exigu, installé au dessus de la mairie et attenant au cabinet dentaire que Michel a racheté à un confrère aussi insouciant qu’original. Les déménageurs ont déposé la veille nos meubles et cartons dans un désordre d’autant plus marqué que nous n’étions pas là pour les réceptionner. Nous sommes arrivés le matin même, et avons fait quelques modestes emplettes pour déjeuner, et ce repas de fête sommaire sera notre première vraie journée à Pérignac. Mariés depuis presque 4 ans, nous vivions jusque là à Pau, où Michel était collaborateur chez un confrère, pendant que je terminais mes études de droit et d’économie. Mais cette situation devenait précaire, et nous avons décidé, avec un enthousiasme limité, de sauter le pas, et de nous installer « pour de bon ». Nous avions modérément envie de devenir vraiment adultes, mais il fallait bien franchir le cap et abandonner notre état de semi-étudiants, insouciants et sans attache.
Après une période assez exaltante de recherche,  c’est toujours amusant de visiter des cabinets dentaires, de découvrir des modes d’exercice différents, de rêver aussi à des implantations nouvelles, notre choix s’est arrêté sur ce modeste bourg de Charente Maritime, peut-être parce que nous pensions qu’il y avait là un potentiel de clientèle à développer (ô la naïveté de la jeunesse qui croit toujours qu’elle fera mieux que ses aînés), à moins que ce ne soit à cause de notre passion pour les églises romanes. Ce serait moins respectable, car un peu farfelu comme motif d’investissement professionnel, mais la Saintonge romane exerçait sur nous une véritable attraction, et n’a à cet égard rien perdu de son charme.

L’église du village, fortifiée au XIVème siècle, dégage une puissance évocatrice particulière. De taille plus imposante que les autres sanctuaires de la région, elle ne présente pas la façade saintongeaise traditionnelle, et développe un schéma iconographique particulièrement riche.  Au-dessus du portail repris en sous-œuvre à l’époque gothique, se déploie une double série d’arcatures. La galerie inférieure représente les douze apôtres, entourant la Vierge, sous des arcs brisés bordés de pointes de diamant et séparés par de fines colonnettes qui encadrent un pilastre léger. Au-dessus, les arcs beaucoup plus riches avec leur ornementation de feuillages en rinceaux et d’animaux sculptés abritent un schéma cher aux sculpteurs locaux : les Vertus terrassant les vices. Huit élégantes statues aux longs manteaux, armées de lances ou d’épées, le bouclier levé, casquées ou nimbées, terrassent les figures sataniques grimaçantes sans effort apparent. Certaines sont restées inachevées, et trois blocs de pierre en attente d’être sculptées complètent la rangée. Si la façade était ravalée, on aurait l’impression qu’on vient de découvrir le chantier en cours, revenant par une illusion émouvante à ce temps prolifique « où les cathédrales étaient blanches ». Au centre de cette suite de guerrières altières, s’élève une fenêtre en plein cintre, plus haute et plus large que les niches qu’elle encadre, surmontée par une voussure à têtes de chevaux, tous les claveaux étant soigneusement taillés avec naseaux, yeux pétillants et oreilles vibrantes. Le pignon, jadis triangulaire, et orné d’une foule de petits motifs en modillons éparpillés, a été aplati lors de la fortification, tronqué sans grâce, et terminé à la hâte par une corniche sommaire. Il a cependant conservé la mandorle de l’Ascension du Christ, flanquée de deux anges étêtés posés sur de légers nuages, et d’une pierre de remploi dissymétrique, dont l’ange contraste avec les autres par son statisme et sa lourdeur.

L’ensemble a de l’ampleur, avec un côté mystique et didactique à la fois, mêlant sans complexe le discours vaguement prosélyte de ces Vertus triomphantes au charme naturaliste de ces équidés prisonniers de leurs claveaux, comme alignés sur le même mors de bride. La place devant l’édifice est vaste, et il est tout à fait loisible aux touristes de prendre le recul nécessaire pour admirer la façade. Sur le côté droit, surélevée de quelques marches qui furent moussues, mais que le zèle intempestif des élus locaux a récemment refaites dans le plus sinistre alignement, s’étend la place des marronniers. A gauche, séparée de l’esplanade par une barrière sans élégance, se dresse dans un bâtiment du plus pur style Jules Ferry, l’école primaire. Lorsque nous sommes arrivés, elle était encore dans un état approximatif, et mon père s’était écrié avec émotion en contemplant son portail branlant : « Voilà l’école qui accueillera mes petits enfants ! ».

lundi 25 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 10

Il fallait aussi réapprendre à faire des projets, et si possible des projets en commun. Il y a eu à cet égard une période un peu floue durant laquelle Michel s’est lancé avec frénésie dans l’engagement syndical. Je me suis sentie totalement larguée, je n’avais quant à moi plus aucun engagement associatif, tout ce que je faisais jusque là étant lié aux filles. Ma profession m’occupait, certes, mais conjuguant l’expérience acquise et une certaine sérénité due à l’ancienneté, cela me paraissait bien léger après la période précédente. Fallait-il que je cherche à mon tour des engagements, pour m’occuper ? L’âge et certaines déceptions aidant, j’avais perdu un peu la foi dans l’associatif et n’avais nulle envie de m’engager pour m’engager. Fallait-il que je change de travail pour avoir plus d’obligations, pour de nouveau me confronter aux difficultés du début, de nouveau connaître les angoisses de l’apprentissage ? J’ai très sérieusement envisagé de me reconvertir, mais devant la perspective conjuguée d’un inconfort matériel certain car toute nouvelle profession m’obligeait à quitter ma région, et d’une dégradation prévisible de nos revenus, j’ai finalement abandonné cette ambition. J’ai donc petit à petit essayé de reconstruire mon horizon, et une étape primordiale de cette reconstruction m’a toujours semblé être la rédaction de ce blog.
Elle a été longue à entreprendre car finalement je n’avais pas aveuglément confiance en nous, et j’avais besoin que le temps me démontre que les filles s’en sortaient. Certes elles avaient obtenu toutes le baccalauréat brillamment, mais là n’était pas notre ambition essentielle, et elles auraient sans doute obtenu ce diplôme sans difficulté au sein du système scolaire traditionnel. Notre challenge était ailleurs, nous voulions en faire des adultes heureuses, équilibrées, armées pour la vie, bien dans leur peau, ayant en main un maximum d’atouts pour réussir leur vie. Il a fallu attendre pour s’assurer que leur intégration se passait sans accroc, pour avoir des informations en retour sur leur niveau réel, mises en compétition avec des jeunes vraiment brillants. Il a fallu patienter aussi pour leur laisser le temps de s’adapter, de se confronter aux autres, pour s’assurer qu’elles ne conservaient pas de séquelles de cette longue période un peu hors du monde où nous les avions « cultivées », choyées mais aussi peut-être trop protégées. Il fallait du recul pour détecter et analyser les erreurs commises. Aujourd’hui, Marie a terminé Sciences Po Paris depuis maintenant 3 ans,  Hélène a le double diplôme de Centrale Lille et de l'ENSAE, toutes deux travaillent et il me semble que nous avons un regard plus serein sur leur situation et que ce bilan peut enfin être rédigé.
Le blog n'est en fait que l'ultime étape de cette aventure. Ecrit il y a déjà assez longtemps, je profite de la publication pour relire une dernière fois ces lignes. Jamais nous ne parlons de ces années avec les filles, et nous respectons leur silence. Elles n'aiment pas, je crois, que nous évoquions cette époque : pas envie d'être "spéciales", "pas comme les autres", pas envie de nous voir jouer les anciens combattants, pas besoin de faire le point sur ce qu'elles ont vécu sans en avoir réellement fait le choix. Contrairement à nous qui avons vécu l'histoire, puis sommes passés à autre chose, elles ne se sont pas forcément approprié cette partie de leur vie et n'ont pas encore assez de recul pour pouvoir en parler avec nous. Mais, il suffit, je n'ai pas à être, en plus de maman et de prof, la psy de ces demoiselles !!

samedi 23 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 9

Pour nous enfin, Michel lira mes lignes et les complètera avec précision et je sais qu’il aura à cœur de ne laisser aucune approximation entacher mon récit. Quant à moi, j’éprouve l’intense besoin de clore ce chapitre de notre vie par une relecture sans complaisance mais que j’espère positive de ces années un peu hors du temps. Cela me permettra d’exorciser les angoisses, de reprendre pied dans un réel normalisé et surtout de faire le point. Une telle aventure, qui a tout de même duré plus de 15 ans, laisse un peu sur le flanc. On y consacre toutes ses forces vives, puis un beau matin il faut reprendre une route plus simple, il faut se reconstituer une autonomie, une indépendance, il faut se retrouver des raisons d’avancer dans un contexte devenu soudain étonnamment facile, bizarrement insipide. On regarde les années écoulées avec stupéfaction, saisi d’un doute : était-ce bien raisonnable ? Il a fallu tant de renoncements qu’il n’est pas évident de reprendre contact avec le désir, une recherche de plaisir qui ne passe plus par le goulet imposé de l’intérêt pédagogique. J’emploie à dessein le mot goulet, c’est un passage obligé, donc qui en tant que tel pourrait paraître réducteur. Mais il faut reconnaître aussi que cela simplifie les choix, on connaît l’objectif visé et tout devient évident, les décisions s’imposent d’elles-mêmes. Quand on a admis qu’il fallait renoncer à toute ambition personnelle, quand on a décidé de canaliser toute son énergie vers ce but exaltant d’éveiller de jeunes consciences, de leur fournir matière à vivre et à vibrer, on avance joyeusement sur le terrain de l’abnégation. Cela n’a rien de réducteur. C’est un choix délibéré et très enthousiasmant. On finit par s’y plier sans réfléchir. 
Et voilà qu’un beau matin, il faut de nouveau agir pour soi, avoir d’autres projets, reprendre pied dans le normal, retrouver ses marques aussi. Car on a un peu l’impression de s’être arrêté 15 ans plus tôt, en ce qui concerne son propre épanouissement. C’est un baby-blues géant, vous savez cette période un peu dépressive que vivent les jeunes mamans après leur accouchement. D’avoir attendu bébé pendant neuf mois, d’avoir adopté un rythme de vie fusionnel avec ce fœtus réel, enfant virtuel qui grandissait en elles, les laisse désemparées devant un quotidien tout à coup fort agité. Mais pour le baby blues c’est simple, les obligations matérielles s’imposent et nécessité fait loi. Très vite il faut réagir, nourrir, bercer, cajoler, changer, laver, bref s’occuper de ce bébé qui lui ne souffre d’aucune dépression naissante. L’action permet de triompher du vague à l’âme. Pour moi ce fut plutôt l’inaction qui m’engluait, et je disais à qui voulait l’entendre que j’avais soudain l’impression de me retrouver à la retraite. 
C’est bien cela qui s’est passé, une sorte de syndrome du retraité. Perte d’identité sociale en même temps que baisse brutale d’activité. Il était d’autant important de redémarrer avec entrain que nos filles, propulsées vers des études plutôt brillantes, ne pouvaient se voir infliger au retour à la maison des parents légumes, soudain privés de toute capacité d’ouverture d’esprit. Il fallait aussi que Michel et moi nous reconstituions notre couple. Non que l’expérience l’ait mis à mal, mais nous étions tellement devenus l’entité « parents » et l’entité « professeurs » que nous avions oublié d’autres dimensions de notre connivence antérieure. Cette dimension fut paradoxalement celle qui revint le plus vite, au grand dam de nos filles qui se sentirent parfois exclues de notre nouvelle vie. Nous avions surmonté ensemble une telle gageure que l’avenir ne pouvait qu’être lumineux. Nous nous sommes retrouvés comme au début de notre route commune, simplement plus forts, plus unis par cette expérience si fermement partagée.

jeudi 21 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 8

Loin de nous l’idée de faire de nos filles des singes savants, et ce blog sera aussi l’occasion de dénoncer ce travers fréquent, sans doute excusable, mais très néfaste, dont nous fûmes systématiquement suspectés. Pourquoi en effet, refuser de scolariser ses enfants, quand on n’est pas marginal ou anarchisant, sauf à les croire ou prétendre surdoués ? Nous avons toujours regretté de n’avoir pas à portée de chez nous un établissement de qualité susceptible de les accueillir, et de nous décharger de cette tache complexe et souvent ingrate que nous avions entreprise. Quant à les prétendre surdouées, nous n’avons jamais voulu rentrer dans ce débat inintéressant. Elles ne furent jamais soumise à aucun test d'évaluation de leur QI, ne serait-ce que pour résister à la tentation d'en tirer quelque gloriole. Notre souci a été de permettre à chacune de développer ses talents, d’être curieuse, ouverte, cultivée, mais surtout d’éviter tout bourrage de crâne précoce, et de ne les pousser en rien. Pas question de profiter du temps libéré pour en faire des virtuoses, ou des sportives de haut niveau. Ce genre d’enfermement précoce dans une voie prédéfinie, souvent reflet des ambitions ratées des parents, nous a toujours rebutés. Pourtant Marie avait un réel talent de pianiste, et il m'arrive parfois de regretter, pour elle, pour le plaisir de sa vie d'adulte, ne l'avoir pas plus poussée dans cette voie.
Alors pourquoi ce blog ? Pour nos filles d’abord, afin qu’elles relisent avec le recul qu’elles ont maintenant, engagées dans des études « normales », ce temps partagé dont nous avions conscience qu’il était rare, précieux, exceptionnel, mais qui était parfois bien difficile à vivre, le nez dans le guidon. J’espère qu’elles y écriront un chapitre pour donner leur version des faits et exposer leurs impressions a posteriori, avec la maturité et leur capacité de juger ce qui était positif et de dénoncer les erreurs commises. 
Pour nos amis ensuite, pour ceux qui ont tremblé de notre audace, pour ceux qui nous ont soutenus, défendus et encouragés. Pour ceux qui y ont cru, et ils avaient raison, et pour ceux qui nous ont traités d’inconscients, et ils avaient aussi raison. Mais surtout pour dire à ceux qui rêvent de faire pareil que c’est une expérience certes merveilleuse, mais ô combien risquée et que l’énergie déployée est rarement à la portée des parents aussi bien intentionnés soient-ils. Nous avons eu la chance de conjuguer plusieurs facteurs porteurs, notre installation à la campagne (qui était par ailleurs réductrice quand il s’est agi d’inscrire nos enfants dans un établissement de bon niveau), nos professions qui nous permettaient une certaine liberté d’organisation du temps, notre conception commune de l’éducation et de l’instruction, une volonté farouche et partagée de nous donner à fond à cette tache, notre complicité et nos tempéraments si différents et si complémentaires. Cela n’aurait pas été possible sans la patience jamais prise en défaut, même s’il s’insurgeait d’avoir à remplir ce rôle de modérateur, de Michel, toujours prêt à m’écouter égrener les difficultés insurmontables que nous surmonterions nécessairement le lendemain. J’avais besoin de dédramatiser en exprimant mes craintes, et Michel supportait vaillamment ces logorrhées verbales, ces remises en cause permanentes. Cela n’aurait pas été possible non plus sans mon énergie farouche, persuadée qu’il suffisait de vouloir et d’être armé des meilleures intentions du monde pour déplacer des montagnes. Une énergie dont j'ai, depuis, appris qu'elle était l'apanage de la jeunesse et qu'il n'est pas forcément bon d'en user sans discernement. Autant dire qu'une certaine forme de sagesse me fait souvent remettre en cause le choix dont ce blog se fait l'écho !!

mardi 19 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 7

J’y allais en fait très rarement à la maternelle, m’ennuyait ferme en dessinant des bâtons d’une main maladroite (maman m’avait appris beaucoup de choses, mais pas à tenir un crayon), et n’ai pas souvenir d’y avoir fait quoi que ce soit, hormis la sieste, autre coutume étrange que je découvris à cette occasion. Toujours est-il qu’au mois de juin, la maîtresse vint voir ma mère à la maison (oui, oui, elle se déplaça) et lui suggéra pour la rentrée prochaine de me faire « sauter » le cours préparatoire, classe selon elle bien inutile pour moi car on ne faisait qu’y apprendre à lire. Ma mère prit l’engagement de m’apprendre pendant les vacances, reçu de la maîtresse un superbe manuel de lecture qui parlait de l’ours Michka, et fut très flattée de cette intervention. Mais elle oublia totalement sa promesse, et ce ne fut que lorsqu’arriva la rentrée, qu’elle me fit avaler l’histoire de Michka à une allure défiant toutes les méthodes classiques de lecture. 
Le 1er septembre, je savais lire, tant bien que mal, toujours pas tenir un crayon, mais j’étais parée pour affronter un CE1. C’est vrai que je ne ressentis aucune difficulté durant cette première véritable année d’école, et que je fus très vite au niveau requis. Mis à part que j’écrivis comme un chat durant plus de dix ans, et que je ressentis toujours le malaise d’être « à part », plus jeune (j’avais finalement deux d’avance à cause de ma naissance en décembre), la seule véritable mésaventure fut celle qui m’arriva le jour de la rentrée. La maîtresse, soucieuse de tester le niveau de ses troupes, entrepris de faire réciter l’alphabet à chacun des enfants de la classe. Alphabet avez-vous dit ? Maman avait encore oublié cela dans mon éducation, et je me demandais bien ce qu’était cette chose là, déjà paniquée d’avoir à avouer mon ignorance. Fort heureusement elle commença à faire réciter l’autre bout de la classe et mon tour ne vine qu’en dernier. Cela m’avait laissé le temps de retenir cette litanie étrange, et de la réciter impeccablement, très fière de mon exploit. 
Ma mère faisait de toute évidence partie de ces mamans enthousiastes mais désordonnées dont parlent les Doman dans leur livre « J’apprends à lire à mon bébé, la révolution douce » que la marraine de Marie m’offrit quand celle-ci eut 3 ans. Les auteurs classent les mamans en deux groupes, les « follettes » qui font tout en s’amusant, et les autres, les prudentes, qui prennent leur tache trop au sérieux. Et ils remarquent que les premières réussissent bien mieux, même si les secondes obtiennent des résultats très honorables. Il faut croire qu’armée de ce livre, je fus parfaitement incompétente, car je ne parvins pas à grand chose avec Marie au moyen de leur méthode. Je fabriquai un grand nombre de cartons comportant des mots affectivement positifs, maman, papa, lapin ou autre ours… Je les lui montrai avec constance mais sans doute sans conviction car elle ne progressa nullement et j’abandonnai vite la méthode, moi aussi. C’était sans doute trop tôt en fait, quoiqu’en disent les auteurs qui prônent avec un enthousiasme communicatif cette découverte dès le berceau.

dimanche 17 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 6

C’est en général en moyenne section qu’il commence à vouloir lire les enseignes des magasins, les affiches dans la rue et qu’il s’empare des livres qui sont à sa portée pour s’y consacrer avec un sérieux inébranlable. Certains parents se contentent d’en sourire, la plaisanterie la plus courante consistant à s’amuser du fait qu’il prend les livres à l’envers et s’y plonge avec délectation, faisant semblant de lire. D’autres se renseignent alors fébrilement, pour trouver la meilleure méthode pour leur apprendre la lecture, et nous avons très souvent conseillé des ouvrages à des parents que le zèle instructeur n’avait pas abandonné, en ayant cependant bien soin de les mettre en garde contre le risque d’ennui qui guettait leur enfant, s’il savait lire deux ans avant les autres. Il est très intéressant de remarquer qu’aucun n’a mené à bien l'aventure envisagée, et le livre d’apprentissage est resté dans un tiroir. Sans doute ont-ils renoncé car, même si la tache est aisée, elle demande dès le début une grande rigueur et surtout une énergique persévérance de façon à ce que l’enfant, encouragé par ses progrès, ait envie de continuer. Notre quotidien est souvent trop agité pour que les parents prennent le temps, de façon régulière, de consacrer un moment chaque jour à ces leçons. Dès lors que cela se fait un peu au hasard, sans organisation, voire sans cérémonial, l’enfant se lasse, et les progrès se font attendre. Tout le monde se décourage, et on se dit que, finalement, l’école fera cela mieux que vous !
           Ma propre expérience est à cet égard révélatrice. Lorsque j’étais petite la scolarisation était moins précoce qu’aujourd’hui, et ma mère s’amusait tellement avec moi que je la soupçonne d’avoir oublié de m’y inscrire. Lorsqu’arriva l’année de mes 6 ans, je suis du mois de décembre, elle s’ avisa brusquement vers le mois de mars qu’il faudrait m’inscrire à la rentré prochaine au cours préparatoire et que je n’avais aucune expérience de l’école. Elle m’inscrivit en toute hâte en maternelle. J’en conserve une impression bizarre, le seul souvenir marquant étant celui de la cour de récréation emplie de gamins ayant des pansements autour de la tête. Les garçons se battaient, ou faisaient tomber les filles. Il est certain que cette école n’était sans doute pas aussi violente qu’il m’a semblé alors, mais ce premier essai de sociabilisation tardive m’a fait l’effet de la découverte d’un monde brutal. Je devais avoir l’air particulièrement vulnérable, car un petit dur me prit sous sa protection et entreprit de me venger dès que quelqu’autre garnement s’attaquait à moi. Il en fut pour de superbes bandages autour du front, qu’il arborait avec toute sa fierté de chevalier servant.

vendredi 15 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 5

Lorsque l’âge de la crèche ou de la nounou arrive, les parents sont encore très impliqués et souhaitent au moins trouver une nourrice qui ne plante pas leurs enfants devant la télévision, ou une crèche où on ne les abandonne pas toute la journée. Certains trouvent même la perle rare, comme cette jeune femme qui me racontait dernièrement avoir confié sa fille à une dame merveilleuse qui passait ses journées à lui faire faire des travaux et des jeux pour l’éveiller. Le seul problème c’est que lorsque la fillette atteignit deux ans et qu’elle fut inscrite à l’école, elle fut bien déçue par l’ambiance de la classe. Elle s’ennuyait ferme car elle avait déjà acquis avec sa nourrice la plupart des apprentissages de petite et de moyenne section, et elle voulait progresser encore. De plus, alors qu’elle avait eu jusque là une adulte entièrement pour elle, elle devait partager la maîtresse avec beaucoup d’autres enfants et elle n’appréciait pas ce nouveau traitement. L’enfant était adorable, sa maman continua à suivre ses progrès et à lui offrir des occasions d’acquérir des nouvelles aptitudes, différentes de celle que lui prodiguait le système scolaire. Actuellement la petite fille est en grande section, il est évident qu’elle aurait pu apprendre à lire depuis au moins un an, elle l’a réclamé avec force très tôt. Heureusement elle ne s’est pas lassée, et surtout sa maîtresse pousse assez loin l’apprentissage des pré-requis de la lecture, lui donnant ainsi l’impression qu’elle apprend vraiment à lire. Cela l’a remotivée fortement pour l’école et elle annonce fièrement qu’il ne saurait être question pour elle de ne pas y aller le lundi matin, jour où ses parents ne travaillent pas et avaient pris l’habitude de la garder à la maison, car elle a « trop de travail  à rattraper ensuite ». Cette réflexion, qui n’a rien d’exceptionnel dans la bouche d’un enfant de cinq ans, montre bien l’importance que les petits accordent à l’école. Pour eux, c’est très sérieux et si nos penseurs pédagogues ont jugé fort à propos que les apprentissages devaient être ludiques pour être mieux « supportés », ils ont négligé ce désir immense du tout petit de faire des choses vraiment raisonnables.
Souvent la rentrée à la maternelle est perçue comme un simple prolongement de la crèche, le souci étant, et je le dis de façon non péjorative, d’économiser les frais devenus pesants de la garderie. On se réjouit vaguement des événements positifs qui accompagnent cette prise de contact avec le milieu scolaire, l’enfant est nécessairement propre, ce qui, après de longs mois de couches, est un réel soulagement. Par ailleurs, il va découvrir une nouvelle « société », celle de sa classe, bien orchestrée par une maîtresse attentive à fixer les règles du comportement social.


mercredi 13 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 4

Même si la narration doit en pâtir et sembler parfois incohérente, j’ai à cœur de faire de cette histoire le récit le plus honnête et le plus lucide possible. Je refuse absolument de magnifier ce que nous avons vécu, et tant pis pour ceux qui attendent un conte de fée. L’idée en écrivant ce blog n’est ni de faire des adeptes, ni de faire du prosélytisme. Surtout pas, car nous ne savons que trop ce que notre démarche avait de fou, d’improbable et de risqué. Ayant eu moult fois l’occasion d’évoquer notre expérience avec des amis, nous avons toujours eu à cœur de leur déconseiller de suivre notre exemple. Non que nous fussions jaloux de l’exclusivité de l’aventure, et encore moins que nous jugions qu’il y ait là matière à critiques. Mais nous avons tellement conscience des difficultés que cela en entraîné, tant au niveau familial qu’au niveau organisationnel, nous savons tellement les efforts et sacrifices que cela a nécessité, l’énergie qu’il a fallu déployer et les erreurs que nous avons commises qu’il nous a toujours semblé insensé de conseiller à quiconque de se lancer dans une semblable aventure. 
Nous pouvons au mieux essayer de donner des conseils sur la gestion difficile par les parents des relations avec l’école, surtout au niveau primaire. Le moment le plus crucial pour eux est celui où l’enfant atteint les 4/5 ans, il désire à toutes forces  apprendre, tout apprendre et en particulier apprendre à lire. L’histoire est toujours la même. Lorsque l’enfant paraît, les parents sont saisis d’un zèle inébranlable et sont prêts dès le berceau à se transformer en pédagogues. Comme ils ignorent généralement les différentes passages obligés des apprentissages, ils brûlent les étapes, sautent les pré-requis, et sont parfois déçus des « performances » de leur enfant. D’autant que les jeux supposés éducatifs qui sont mis à leur disposition dans le commerce de grande distribution souvent en général inadaptés, et sous des apparences simili-pédagogiques, sont en fait totalement inintéressants. L’enfant les laisse rapidement et ils remplissent rarement l’usage pour lequel ils ont été prévus.


lundi 11 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 3

Au début, c’est bien sûr nous qui avons pris la décision de commencer l’instruction de Marie, mais quand elle n’avait que 2 ans cela n’avait rien d’extraordinaire, et nous pensions seulement retarder son entrée à la maternelle. A 6 ans, c’est encore nous qui avons choisi de la garder encore un peu, pour lui éviter l’ennui d’un cours préparatoire. Mais petit à petit, nous avons tenu à ce qu’elles expriment elles aussi leur désir, rester à la maison ou aller au collège. Certains nous ont dit, et ils avaient raison, que leur choix était biaisé puisqu’elles n’avaient connu que l’instruction à domicile et avaient sans doute peur de l’inconnu. D’autres nous ont prétendu, et ils avaient raison, que c’était dangereux de leur offrir l’attrait de l’inconnu, le collège ou le lycée leur semblant un lieu magique où il se passait forcément des choses merveilleuses, comparé à leur quotidien. Je pense sincèrement que les deux tendances se mêlaient dans leurs têtes, et qu’elles prenaient donc leur décision de façon assez sereine. 
Et de fait, quand il s’est agi d’inscrire Hélène au lycée en première scientifique, elle a admis rapidement que c’était la meilleure solution pour elle. Elle en a conçu un mélange d’exaltation et de crainte, et s’est très vite rendu compte que ni l’une, ni l’autre n’étaient justifiées. Elle est rentrée dans la norme sans trop de difficultés. J’aurai l’occasion d’en parler plus loin. 
Marie, quant à elle, a préféré rester avec nous jusqu’au bac, après avoir envisagé assez lucidement les inconvénients d’une telle décision. Nous avons très longuement pesé le pour et le contre, et il serait absurde de prétendre que le premier l’emportait clairement dans notre esprit. Nous avons ensuite tenté d’atténuer au maximum les effets négatifs de cette terminale à la maison, fait face ensemble aux difficultés de cette dernière année, qui fut de loin la plus éprouvante pour nous tous. Nous avons surtout essayé d’en profiter pour rendre l’expérience positive et l’enrichir de possibilités qu’elle n’aurait par eues si elle était partie au lycée.

dimanche 10 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 2

Ce récit sera aussi l’occasion de purger les angoisses multiples qui ont été les nôtres pendant tant d’années, d’exprimer les doutes et les appréhensions qui ont jalonné ces années exceptionnelles et riches. Il est des moments où tout ce qui nous agite paraît tout d’un coup inutile, voire absurde. On est alors saisi par un ressac de vide et le doute s’installe en maître. On se prend à regarder le passé et ses motivations avec l’œil glacial d’un entomologiste disséquant une sauterelle, et tout semble vain. Le dérisoire de nos convictions et du moteur de nos actions nous éclate soudain à la figure comme une baudruche incolore, et l’invraisemblable vanité de nos prétentions nous submerge en déferlante. 
Il faut alors se battre contre la tentaculaire envie de tout abandonner, déposer humblement ses armes et ses blessures, puis tout reprendre à zéro, sous peine d’une paralysie totale. Maladresse des intentions, que l’on croyait pourtant bonnes et pures, inadéquation de l’action avec le dessein que l’on s’est fixé, chimère des utopies qu’on prétend poursuivre, tout devient abruptement décourageant, et on a envie de tout arrêter. Que de soirs, que de nuits avons-nous Michel et moi, débattu de l’inanité de nos efforts, de l’orgueil démesuré de nos prétentions, accablés, abattus, persuadés que nous allions à la catastrophe, que nous étions d’insupportables et arrogants apprentis sorciers. Le sentiment que nous étions en train de faire une erreur monumentale, que nous gâchions irrémédiablement l’avenir de nos filles nous submergeait alors. Nous parlions, discutions, disputions, dormions mal, et le lendemain nous reprenions l’aventure, illuminés par la joie de vivre et la volonté d’apprendre de nos filles.

samedi 9 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 1

« Il faut lui trouver un nom à cette école ». Nous sommes en 1986 ou 87 ; mon ami Frédéric s’étonne de notre initiative toute fraîche de « jouer à la maternelle » avec Marie, et illico, déclare « Fan de loup ! ». « Quoi fan de loup ? » «  Eh bien ce sera le nom de l’école ! » Qu’à cela ne tienne ! Le nom donné aux classes primaires restera celui de cet établissement d’un genre un peu particulier que nous avons lancé ce jour-là ! Ce sera le collège, puis le lycée Fan de Loup, le seul lycée de France, dira plus tard Michel avec une certaine fierté, ayant toujours enregistré 100% de mentions Très Bien au baccalauréat. Voyons, un établissement comme cela, il faut en parler, le faire connaître ! Certes, il a maintenant fermé ses portes, mais il est temps de faire le bilan et, au-delà de la boutade concernant les mentions, de raconter, pour nous, pour nos filles, pour tous ceux qui nous ont aidés, soutenus, critiqués, mis en garde ce qui se passait dans cette classe unique du Lycée Fan de Loup.

Il y a vingt cinq de cela, nous avons entrepris Michel et moi une aventure humaine et familiale dont nous ne mesurions pas pleinement la portée, le choix du nom de l’école en est bien la preuve. Sans qu’il s’agisse d’une véritable décision à long terme concertée ni justifiée par des positions idéologiques particulières, nous avons commencé à assurer nous-même l’instruction de nos filles. C’était au début une simple implication de parents désireux de faire le mieux possible pour leurs enfants, mais cela a vite pris des proportions que nous étions loin de prévoir au début de l’expérience. Nos filles ont maintenant terminé leurs études et sont toutes les deux dans la vie active. Nous sommes tous rentrés « dans la norme », et il me semble  indispensable de faire le point.

Certes il y a d’abord le récit d’une aventure assez hors du commun, originale et qui en a intrigué plus d’un. C’est souvent en effet que des amis sollicitent de nous de détails, des anecdotes, intrigués qu’ils sont par le vécu d’une telle expérience. A cet égard, il y a beaucoup à raconter et les problèmes concrets rencontrés, résolus et souvent surmontés sont multiples et parfois inattendus. C’est une expérience à partager, ne serait-ce que pour la démythifier, et modérer l’enthousiasme de ceux qui regrettent de ne pouvoir nous imiter.

Cette expérience étant terminée, un bilan s’impose et le besoin de faire le point est une nécessité. Ne serait-ce que parce que, tout au long de ces années, nous avons été traités de fous et d’inconscients par nombre de nos proches, qui avaient sans nul doute raison. C’est une sorte de justification a posteriori, sachant que l’issue n’en était pas prévisible, et qu’il nous est agréable, après des années de craintes et d’inquiétudes, sans grand soutien extérieur, de constater que nous n’avions pas fait fausse route.