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jeudi 9 décembre 2010

L'ERE MONTESSORI -6-


Nous avons bien sûr appliqué toutes les découvertes Montessori en matière d’aménagement de la chambre de nos filles. Mais il n’y a de nos jours plus rien de très original à organiser cet espace pour que l’enfant s’y sente chez lui. Notre société de consommation a trouvé son compte dans le marché important que représentent les objets adaptés à la taille et aux mains du tout petit. Il ne viendrait plus à l’idée d’aucun parent de priver son enfant d’une brosse à dent miniature, de résister devant un portemanteau ludique, et nous avons tellement adopté cette philosophie que les maisons regorgent d’objets miniature, parfois jusqu’à l’excès.

Mais les apprentissages ne pouvaient se limiter à des tâches ménagères ou à des aménagements agréables mais somme toute bien classiques du cadre de vie. Je me lançais donc avec entrain dans la construction des matériaux de base, que l’on trouve maintenant tout faits via Internet sur le site Maria Montessori en France ou plus simplement encore chez Nathan Pédagogie. Je coupai, collai, peignis, ponçais sans relâche la tour rose, l’escalier vert et les barres rouges. La tour rose, constituée de 10 cubes de 1 à 10 cm d’arête me donna particulièrement du mal. Etant plus pédagogue que bricoleuse, je ne choisis certainement pas la méthode la plus simple pour la confectionner : qu’on en juge. Je jetai mon dévolu sur du contreplaqué de 10, c’est à dire épais de 1 cm. Le premier cube certes ne me posa aucun problème. Mais si vous imaginez que je choisis de réaliser chacun des autres en partant de carrés de la taille voulue empilés en nombre suffisant pour atteindre ensuite la forme cubique, vous comprendrez que le dernier, résultat du collage minutieux de 10 carrés de 10 centimètres de côté, fut assez laborieux. Dans ce contexte, les finitions prenaient une allure de récompense, et  peindre les cubes en rose fut un vrai plaisir.
J’enfilai des barrettes de perles, achetai une scie sauteuse pour réaliser les plateaux d’encastrement, réalisés cette fois en balsa, et non plus en contreplaqué. Il fallut résoudre le délicat problème des systèmes de préhension des formes à encastrer, afin qu’il fût adapté à de petites mains.  Et lorsque je m’attaquai au plateau des étoiles, je butai sur l’épineuse difficulté des étoiles à 10 ou 12 branches. J’avoue avoir oublié celle qui me posa le plus de souci pour sa construction géométrique, mais il me fallu l’aide d’un ami professeur de mathématiques pour faire une figure régulière ! Je construisis aussi maints cadres de bois sur lesquels je fixai des bouts de tissus reliés par toutes sortes de fermetures pour apprendre la préhension fine, boutons, rochets, fermeture éclair et autres lacets. Le meilleur souvenir reste celui de la confection  des plaques du teintier destiné à apprendre à distinguer les nuances les plus subtiles. Je fis des centaines de rectangles de bois, car je voulais avoir mes jeux de couleur en double, et après les avoir munis de baguettes pour en faciliter la tenue, je les peignis avec soin. Il s’agissait, partant d’un blanc à peine cassé par une couleur de base, , d’augmenter chaque fois très légèrement la quantité de colorant afin d’atteindre au bout de 10 plaques la couleur pure. Le résultat était vraiment superbe, et c’est d’ailleurs le seul matériel Montessori que j’ai conservé, ayant offert les autres à une jeune institutrice.

mardi 7 décembre 2010

L'ERE MONTESSORI -5-


On pourrait résumer ainsi les idées forces de cette pédagogie :
·     L’enfant reste libre du choix de son travail
·     L’adulte respecte le temps d'acquisition de l’enfant
· Tout travail commencé doit être Préparé - Réalisé -Terminé - Évalué - et éventuellement corrigé en cas d'erreur
· L'enfant explore avec tous ses sens
· L’enfant a le droit à l’erreur, mais elle doit être corrigée 
· Toutes les disciplines sont liées
· L'acquisition de compétences est aussi importante que l'acquisition des connaissances
· Les adultes éducateurs se mettent au service de l'enfant pour l'aider à devenir un être libre.

Un enfant qui acquiert les capacités de lecture et d'arithmétique de base de cette façon naturelle possède l'avantage de commencer son éducation sans corvée, ennui ni découragement. Il éprouve un enthousiasme à apprendre, qui lui rend les apprentissages aisés.

Forts de cet exaltant viatique, nous avons entrepris de mettre en œuvre les conseils du médecin italien. La grande constante étant « l’école Montessori chez soi », rien ne s’opposait à ce que nous le fassions. Sauf peut-être l’étrangeté de la démarche et surtout l’absence totale de matériel pédagogique permettant de mettre en œuvre les méthodes préconisées.

Avant tout apprentissage: le cadre de vie de l’enfant:
 
           Tout commence par l’organisation de la maison. " Nous devons offrir à l'enfant un environnement qu'il peut utiliser lui-même : un petit lavabo, un bureau avec des tiroirs qu'il peut ouvrir ; des objets d'utilisation courante qu'il peut manipuler, un petit lit dans lequel il peut dormir la nuit sous une belle couverture qu'il peut remettre lui-même. Nous devons lui donner un environnement dans lequel il peut vivre et jouer ; alors nous pourrons le voir travailler toute la journée avec ses mains et attendre impatiemment pour se déshabiller lui-même et s'allonger sur son lit ».
 
Certes dans un premier temps, il était simple de réaménager les tiroirs de la cuisine pour permettre, à hauteur convenable, à l’enfant de ranger, en triant, les couverts après le repas, ou de lui faire transporter sans frémir des plateaux à sa taille comportant quelques verres fragiles, en lui expliquant l’importance de sa mission. Il ne faut pas avoir peur laisser l’enfant manipuler des instruments réputés fragiles ou dangereux, il en prendra le plus grand soin et, prévenu contre les risques se montrera d’une grande prudence avec les couteaux. Par contre J’avoue bien humblement que j’ai en la matière « sauté » quelques recommandations de base. La perspective de donner à mes filles un petit plumeau ou des instruments de ménage miniature a dû heurter l’ancienne soixante-huitarde assagie que je suis. Je l’aurais sans doute fait avec ardeur pour des garçons, mais là j’ai carrément négligé l’apprentissage de l’ordre et je découvre avec stupeur les conseils de Maria Montessori en la matière. Elle dit que les enfants de 2 à 6 ans prennent du plaisir à s'occuper de leur environnement, à nettoyer, à laver qu’il est parfaitement raisonnable de demander à des enfants plus âgés de ranger leur chambre et d'aider dans les tâches ménagères. Il est clair que j’ai oublié de leur apprendre à plier leur serviette de bain ou leurs vêtements le soir, et elles ont en la matière une incompétence qui risque fort de leur empoisonner la vie à l’âge adulte. Elles sont toutes les deux abominablement désordonnées, vivant sans problème dans un environnement proprement délirant qui leur rendra la vie compliquée plus tard. C’est bien la preuve que les prescriptions Montessori doivent être suivies avec humilité et sans y mêler ses propres convictions.


lundi 22 novembre 2010

L'ERE MONTESSORI -4-

L’autre argument est évidemment que cela donnerait aux instituteurs une responsabilité trop lourde, nos vieilles institutrices de campagne ou de banlieue n’avaient pas de telles angoisses qui se contentaient de faire preuve de pragmatisme, voire de réalisme. On ajoute que les parents exerceraient forcément des pressions sur le corps enseignants pour les convaincre que leur petit est un génie, comme si un tel argument était réaliste. Peut-on me dire quel genre de pression on peut exercer sur un fonctionnaire qui fait son travail avec conscience et bienveillance ? On ajoute enfin, et l’adversaire est terrassé que certains établissements plus conciliants que d’autres attireraient forcément les inscriptions et que les aprents s’efforceraient dès le primaire de déjouer la carte scolaire pour y inscrire à toute force leur rejeton supposé surdoué. On sait ce qu’il en est des stratégies de contournement de ladite carte scolaire qui donne des cauchemars à certains maires affolés de voir les enfants inscrits en masse dans leur commune ou réjouis de voir le prix des terrains monter au motif qu’ils abritent une école réputée. Ce n’est pas une telle mesure de bon sens qui aggraverait beaucoup le phénomène.

Le développement du petit enfant passant par des phases de sensibilité durant lesquelles il est naturellement plus réceptif à l’apprentissage de certains acquis, Maria Montessori mit à profit ces périodes pour aider l'enfant à découvrir par lui même des connaissances et des expériences  nouvelles en utilisant tous ces sens. Il commencera, selon ses observation, par les exercices les plus simples basés sur les activités que tous les enfants aiment. Le matériel qu'il utilisera à 3 et 4 ans l'aidera à développer sa concentration, sa coordination et les habitudes de travail nécessaires pour des exercices plus complexes qu'il accomplira naturellement à 5 et 6 ans. Le programme d'enseignement complet est résolument structuré. La pédagogie Montessori propose un parcours très précis, qui respecte les rythmes d’apprentissage de chaque enfant, et développe la confiance en soi, la motivation, la curiosité, la maîtrise de soi et les qualités d’adaptation.

samedi 20 novembre 2010

L'ERE MONTESSORI -3-

Il est regrettable que le dogmatisme administratif qui oblige tous les enfants à se couler dans un moule moyen supposé éviter d’en favoriser certains et ayant pour but de les aligner tous sur un schéma nivellateur néglige cette donnée primordiale du développement de l’enfant. Sur un laps de temps de 7 ans, une année passée pour les uns à s’ennuyer ou pour les autres à être déjà dépassés, c’est énorme et cela peut avoir des conséquences à long terme parfois désastreuses.
On l’admet volontiers, et encore de moins en moins, pour les enfants en difficulté, on brandit la menace de l’immaturité pour les autres. Il serait sans doute moins facile permettre à chaque enfant de développer ses talents quand ils apparaissent, et on ne peut inventer une école primaire à la carte qui serait sans doute ingérable. Mais reconnaître comme autrefois aux instituteurs, qui sont les premiers observateurs bienveillants de l’enfant, le droit de moduler pour certains l’obligation scolaire, et leur accorder le droit de proposer à certains parents d’accélérer le parcours de leur enfant, serait sans doute une bonne chose. J’entends déjà les protestations de tous poils, je connais bien mes collègues enseignants.
Premier argument, oui mais l’enfant qui a « sauté » une classe manquera forcément un jour de maturité et il sera alors obligé d’en redoubler une autre. C’est en effet la menace permanente qui pésera sur lui tout au long de sa "carrière scolaire", où à chaque conseil de classe les enseignants se pencheront avec commisération sur sa date de naissance et seront prêts à préconiser le redoublement à chaque petit décrochage. En fait, notre système très rigide qui inscrit l’un né en décembre en CP et garde l’autre né trois jours après début janvier en grande section est parfois aveugle. Et nombre de ces enfants jugés immatures sont en fait parfois vraiment trop jeunes, quoique dans la norme. La plupart des cas cités en exemple par le corps enseignant sont en fait ceux d’enfants de la fin de l’année qui, à un moment, ont un retard affectif sur les autres. Il est par contre très rare qu’un enfant qui a réellement sauté une classe se retrouve dans cette situation, car il pose rarement des problèmes dans la suite de sa scolarité, et quand tout marche bien, personne ne pense à regarder sa date de naissance pour se féliciter de cette initiative.

jeudi 18 novembre 2010

L'ERE MONTESSORI -2-

Puisque l'enfant détient cette capacité à apprendre en absorbant jusqu'à ce qu'il ait presque sept ans, le Dr. Montessori pensa que l' expérience de l'enfant pouvait être enrichie au sein d'une classe où il pourrait manipuler le matériel qui lui apporterait des informations éducatives de base. Grâce à un matériel adapté utilisable dès qu’il en ressent la curiosité, un jeune enfant peut apprendre à lire, écrire et calculer de la même façon naturelle qu'il apprend à marcher et parler. Le Dr. Montessori a toujours souligné que la main était le professeur principal de l'enfant. Pour apprendre il faut de la concentration, et la meilleure façon pour un  enfant de se concentrer et de fixer son attention sur quelques tâches accomplies avec ses mains. La conception du matériel est donc très codifiée pour répondre au plus près à cette utilisation fructueuse de ses mains. Les jouets inspirés de près ou de loin de la pédagogie Montessori, et tous les jeux éducatifs sont dans cette lignée même encore aujourd’hui, négligent trop souvent cet aspect pratique et leur gros défaut est souvent d’être mal adaptés à la préhension fine du jeune enfant. Le plus souvent pour des raisons d’esthétique supposée, pour séduire les parents ou pour simplement justifier leur prix, ces jeux s’ornent de fioritures parasites qui viennent contredire et compliquer les observations de bon sens du médecin italien et les rendent inutilisables. Les parents les trouvent jolis mais les enfants les négligent. Ils ne remplissent plus leur rôle.
 Une autre observation du Dr. Montessori, elle aussi confirmée par les recherches actuelles, est l'importance des périodes sensibles pour les premiers apprentissages. Ce sont des périodes de fascination intense pour apprendre une action ou un savoir faire particulier, tel que monter et descendre les marches, mettre des choses en ordre, compter et lire. C'est plus facile pour un enfant d'apprendre une chose particulière pendant la période sensible correspondante plutôt qu'à n'importe quel autre moment de sa vie. C’est ce que j’ai déjà souligné dans mon introduction en ce qui concerne la véritable passion qu’éprouvent les enfants pour la lecture vers 4 ou 5 ans, passion qui peut leur permettre d’apprendre à lire en un mois si on y répond en temps utile. Par contre, si on rate le rendez-vous il est beaucoup plus difficile ensuite de faire cet apprentissage.


mardi 16 novembre 2010

L'ERE MONTESSORI -1-


Née en 1870 en Italie, Maria Montessori,  était docteur en médecine. Elle se consacra à l'éducation des enfants défavorisés et "retardés mentaux", avant d'étendre sa pédagogie aux autres enfants. Elle fonda sa propre école à Rome en 1907. Maria Montessori pensait que chacun est le seul vrai moteur de son éducation. L'individu doit agir par lui-même ou il ne le fera jamais. C’est la curiosité naturelle et l’amour de la connaissance qui incite chacun à apprendre longtemps après les heures et les années qu'il a passées dans une classe. Le Dr. Montessori pressentit que le but d'une éducation de la prime enfance était donc permettre à l’enfant de cultiver et de développer son propre désir d'apprendre, se forgeant ainsi pour l’avenir la motivation qui le gardera toujours en éveil. La phrase clé de la pédagogie Montessori est "Aide-moi à faire seul".  Cette pédagogie est fondée sur la volonté d'aider l'enfant à se construire et à développer son autonomie à partir de  l'observation de ses rythmes de développement.

Pour ce faire, l’adulte s’appuie sur une aptitude étonnante de l’enfant que le Dr. Montessori appelle son "esprit absorbant". Dans ses livres, elle compare fréquemment le jeune esprit à une éponge. Il absorbe complètement et efficacement les informations provenant de son environnement. Le procédé est particulièrement évident dans la façon dont un jeune enfant de deux ans apprend sa langue maternelle, sans instruction formelle et sans effort, contrairement à la concentration fastidieuse dont doit faire preuve un adulte pour maîtriser une langue étrangère. Acquérir l'information de cette façon est pour lui une activité naturelle et agréable, au service de laquelle il utilise tous ses sens.
 
                 Dans son livre "L'esprit absorbant" le Dr. Montessori écrit, "La période la plus importante de la vie se situe entre la naissance et six ans et non pas durant les études universitaires. Ainsi, c'est le moment où le plus grand instrument de l'homme, l'intelligence, se forme. Non seulement son intelligence; mais toutes ses capacités psychiques... A aucun autre âge, l'enfant n'a de plus grand besoin d'une aide intelligente, et n'importe quel obstacle qui empêche son travail créatif diminuera la chance qu'il a d'atteindre la perfection". C’est maintenant une évidence psychologique de base d’affirmer que « Tout se joue avant 6 ans », comme l’ont proclamé tant de pédiatres et de psychologues après le docteur Dodson. Tout, y compris la stimulation intellectuelle, puisque non content de constater, avec de nombreux psychologues comme  le Dr. Benjamin S. Bloom de l'Université de Chicago, qui affirme, études à l’appui "Stability and Change in Human Characteristics" que "De la conception jusqu'à l'âge de 4 ans, l'individu développe 50% de son intelligence mature, de l'âge de 4 ans jusqu'à 8 ans il en développe encore 30%… », l’auteur démontre que ce sont les années primordiales de la formation de l’enfant qui « apprend à apprendre ». Mais le docteur Montessori était un précurseur en la matière, et son mérite a surtout été d’offrir aux adultes un programme cohérent et simple de mise en valeur de ces capacités exceptionnelles du tout petit.

dimanche 14 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -10-

Ce refus de nous compliquer la vie sous prétexte que nous avions des enfants, moins par pur égoïsme que par volonté de ne pas leur en vouloir ensuite des sacrifices supposés consentis pour les faire grandir, perdura toujours dans nos organisations familiales. Elles suivaient, toujours ravies, jamais rebutées, nos escapades diverses sans que cela leur parut plus difficile que d’aller à la plage faire des châteaux de sable. Bien sûr elles ont été un peu frustrées de châteaux de sables, cependant nous avons essayé d’adapter nos centres d’intérêt à ce qui pouvait leur plaire. Mais nous n’en sommes pas là, et ces adaptations vont venir ensuite comme soutien à la démarche pédagogique globale que nous entreprendrons avec elles.

C’est en 1986 qu’Hélène s’annonça, et dire que ma grossesse fut idyllique serait faux. Marie prit fort mal la chose et commença à me labourer avec la plus parfaite cruauté de coups de pieds et éprouva soudain un besoin d’affection inhabituel. Il fallait sans cesse la prendre dans les bras, ce que je faisais d’autant plus volontiers que j’imaginais sans peine quelle serait sa déconvenue lorsque la sœur annoncée se manifesterait à son tour. C’est durant cette attente, poussée par la volonté de montrer à Marie que j'avais malgré ma fatigue très envie de m'occuper d'elle que j’entrepris la suite de ma démarche éducative. Je puisais cette fois-ci mes informations dans une littérature sans doute moins connue, sauf en Italie (les Italiens lui ont même consacré un billet de 1000 lires), mais aussi moins contestée. C’était le véritable début de notre aventure, ce qui précède n’étant finalement qu’une entrée en matière vraiment commune à tous les parents. Notre nouveau maître à penser était le docteur Maria Montessori.

vendredi 12 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -9-

En avril 1985, Marie avait alors trois mois, nous décidâmes qu’il n’était nullement question de renoncer à nos plaisirs antérieurs. Nous avions une passion pour l’Italie, qu’à cela ne tienne, nous irions en Italie. C’était le début d’une longue expérience d’adaptation aux circonstances. Et aussi de renoncements d’ailleurs mais ce qui compte c’est qu’ils soient consentis, et non subis. Nous optâmes pour Florence. Par excès de zèle nous décidâmes que l’hôtel était trop compliqué, donc nous louâmes un appartement. Ce ne fut pas une idée de génie car celui que nous avions réservé était dans un état de saleté assez repoussante et la corvée de nettoyage qui nous a attendait à l’arrivée n’est pas le meilleur souvenir du séjour. Nous avions aussi pensé que nous aurions besoin d’aide, et nous emmenâmes la marraine de Marie pour nous seconder. Mais finalement Brigitte était très jeune, et nous avons plutôt eu deux filles qu’une seule, ce qui n’était pas plus facile. Le séjour se déroula sans encombre, tellement qu’en novembre nous sommes partis à Sienne seuls, et avons logé à l’hôtel. Nous visitions musées et monuments Marie lovée dans une poche ventrale. Michel se souvient avec émotion du sacristain de l’église San Lorenzo à Florence, qui le poursuivait de son admiration pour le bébé ainsi promené. Il ne pouvait faire un pas sans que l’homme, ravi, ne le suive, s’extasiant sur la face hilare de Marie. Les italiens ne font plus d’enfant mais gardent une nostalgie récurrente des émerveillements de la petite enfance, et chez eux le moindre bimbo est choyé, admiré, entouré, fêté sans retenue. Nous avions dans une poche un biberon plein d’eau, dans l’autre un autre biberon avec la dose de poudre, et dès que bébé manifestait une petite faim, nous versions l’un dans l’autre, secouions énergiquement, et nous installions sur un banc d’église, ou une banquette de musée pour calmer les crampes d’estomac. Le changement de couches se faisait dans les lieux les plus pittoresques, le plus frappant étant resté celui que nous effectuâmes sans coup férir au milieu de la conque doucement arrondie de la place de Sienne. Cela fut fait avec un tel naturel qu’aucun touriste présent ne le remarqua.

La même année, nous avions renoncé l’été à prendre des vacances itinérantes, pensant que la chaleur fatiguerait bébé. Nous sommes allés passer une semaine chez mes parents qui avaient alors une villa à Arcachon. Nous pensions naïvement qu’ils garderaient Marie pendant que nous pourrions nous livrer à des itinéraires rayonnant sur les pas de Mauriac. Ce fut une occasion délicieuse de relire l’œuvre complète de l’écrivain bordelais, mais quand il s’est agi de confier Marie à ses grands-parents, nous nous heurtâmes à des réticences pour nous incompréhensibles. Nous avons compris depuis qu’ils avaient peur de la responsabilité et auraient souhaiter nous voir un peu plus casaniers. Nous sommes donc partis à la recherche des fermes landaises abritant les héros de Thérèse Desqueyroux ou ceux du Noeud de vipères. Avec un couffin sous le bras. Il me souvient d’un soir où, au retour, nous fîmes halte dans une auberge landaise, la chair était copieuse et le repas à rallonge. Nous avions décidé de laisser Marie dans la voiture où elle dormait comme une bienheureuse. Nous étions à deux pas, inutile de l'imerger dans l'ambiance bruyante et enfumée (on fumait encore à cette époque dans les restaurants) de l''auberge. Quand tout à coup un bruit insolite attira notre attention : dehors, s’attroupait autour de notre véhicule un vrai rassemblement.  Marie réveillée, faisait des mines à des badauds hilares entourant la voiture. Nous avons bien failli ce soir-là passer pour des parents indignes. Et il est certain que nous aurions, actuellement, de graves ennuis avec la police pour afficher une telle légèreté !

mercredi 10 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -8-

Pourquoi le Docteur Spock a-t-il été et est-il encore si controversé ? Au début ses méthodes s’opposaient aux méthodes rigides et sévères des générations précédentes en matière d’éducation des enfants. L’instinct parental était source de méfiance et seule l’approche stricte et scientifique des pédiatres avait droit de cité. L’alternative proposée par Spock était une approche plus centrée sur l’enfant, et proposait aux parents de faire confiance à leur raison pour déterminer seuls ce qui était bon pour leur enfant. Elle toucha la corde sensible de nombreux parents qui commençaient à mettre en question les pratiques établies.  Il n’est pas sûr que Spock ait initié les changements dans l’attitude du grand public vis-à-vis des enfants et de leur éducation, mais le moment précis où il a produit un manuel sur l’éducation des enfants (qui préconisait une révolution silencieuse dans ses pratiques) a certainement ajouté de l’huile sur le feu. Qu’il s’agisse des nouvelles pratiques familiales, des nouveaux rythmes imposés par la vie moderne, de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, le détachement des croyances et habitudes établies, dans les années qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, un changement évident dans la façon d’élever les enfants s’imposa d’autant plus qu’un baby-boom soutenu démarrait. Son premier ouvrage : « Livre du bon sens en matière de soins aux nourrissons et aux enfants » a été très controversé. Publié en 1946, ce livre se démarque complètement des habitudes et de la mentalité très rigide de l’époque. Cela n’empécha pas cet ouvrage de se vendre à plus de trente millions d’exemplaires. Spock part du constat que les jeunes connaissent fort peu de choses du métier de parents. Cette ignorance entraîne une perte de confiance en soi, des angoisses, des erreurs éducatives et des malentendus qui faussent rapidement les rapports enfants-parents.  Il réhabilite l'affection, la tolérance, le respect de la personnalité, ce qui le fera accuser dans les années 1970 d'inciter les familles à l'absolue permissivité et à la démission. Sensible à ces polémiques, Spock a évoqué dans ses dernières publications les limites nécessaires à opposer aux désirs démesurés du jeune enfant.

  Est-ce grâce aux conseils de Spock, ou bien avons-nous eu des enfants particulièrement gentilles, mais nous gardons de cette petite enfance un souvenir lumineux de vie simple et facile. Pas le moindre souvenir de nuit blanche, de pleurs intempestifs, de caprice, de maladie infantile. Parents novices nous choisîmes un pédiatre qui nous a laissé le souvenir confus d’une vague incompétence. Il avait l’air nettement plus dépassé que nous par les problèmes mineurs que nous lui soumettions, et les solutions qu’il proposait étaient tellement irréalistes que nous les abandonnions, passé le seuil de son cabinet. Quant à lui, nous arrêtâmes définitivement d’aller lui rendre visite le jour où, ayant diagnostiqué chez Marie un problème de hanches, il préconisa de l’enfermer dans une sorte de carcan impressionnant pour l’immobiliser, alors qu’elle commençait tout juste à marcher. Nous fîmes faire une radio de contrôle des hanches et il apparu que la première avait été prise de travers, et que l’enfant ne présentait pas le moindre problème. Portés par cet excès d’optimisme, nous fîmes cependant une erreur. Lorsqu’il diagnostiqua qu’elle avait les pieds plats et proposa des semelles orthopédiques, nous reculâmes encore devant le côté barbare du procédé. Nous décidâmes que le fait de marcher pieds nus devrait suffire à lui remuscler la plante des pieds. Il faut être honnête Marie a gardé les pieds plats, sans gêne pour la vie courante, mais cela a constitué un véritable handicap lorsqu’à la danse il s’est agi de faire les pointes. Elle a alors abandonné la danse classique pour la danse moderne moins exigeante, car elle devait déployer des efforts surhumains pour un résultat peu convaincant. Mais n’ayant jamais eu l’ambition de faire carrière dans un ballet, cela resta pour elle un inconvénient mineur. Elle a aussi conservé l’habitude d’aller nus-pieds, mais c’est vraiment un moindre mal. Exit donc le pédiatre, et nous eûmes la chance d’ignorer pendant de longues années l’existence du corps médical, nos filles ayant toujours fait preuve d’une santé sans faille.
Petite enfance très facile donc, et j’avoue que l’exposé des complexités provoquées par la présence de bébés dans une maison amie me laisse toujours étonnée. Tout est tellement aisé et naturel, surtout avec le premier enfant. Les choses se compliquent sans doute un peu lorsqu’on a deux enfants en bas âge, mais cela reste très simple. Il me semble a posteriori que l’écoute des besoins du bébé, quelques règles simples d’organisation, beaucoup de pragmatisme, et le tour est joué.

lundi 8 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -7-

Pour les rythmes de vie, nous les avons toujours couchées avec fermeté le soir, et si elles ont tenté pendant deux ou trois jours de protester contre la décision que nous leur imposions, elles se sont très rapidement habituées à un rythme régulier de sommeil, dormant 12 heures d’affilée sans le moindre problème.

L’autre principe du docteur Spock était de dire aux parents « Ayez confiance en vous ». Nous avions bien besoin d’être rassurés étant comme je l’ai dit totalement néophytes. 
Spock nous ayant fait valoir qu’armés de bon sens et de bonnes intentions, nous ne pouvions rien faire de mal, ou du moins ne faire que de petites erreurs dont nous étions parfaitement capables de tirer leçon, nous abordâmes notre tache de façon plus décontractée, plus pragmatique et sans doute plus efficace que si nous avions été crispés sur la peur de nous tromper. Le corollaire de ce conseil de confiance était que nous, parents, nous avions des devoirs certes à l’égard du bébé, mais aussi des droits, et qu’il n’était nullement question d’y renoncer, pour le bien-être de tous. Pas question de transformer l’enfant en tyran, les termes du contrat étaient clairs. Nous voulions faire le maximum pour notre bébé, mais nous avions besoin d’une frange protégée de vie personnelle et intime, et nous avions le droit, voire le devoir d’en imposer le respect. C’était nécessaire à notre équilibre à tous. Nous avons, sans doute encore un effet de notre trentaine, défendu sans aucun complexe ces droits à l’intimité, au repos, à des plages réservées d’adultes, plages durant lesquelles les filles vivaient leur vie d’enfants sans interférer avec nous et sans nous imposer leurs désirs. Ainsi par exemple, nous recevions nos amis sans elles, elles venaient dire bonsoir puis allaient se coucher sans protester. Les amis nous trouvaient durs et sans cœur, mais revenaient volontiers nous voir car la soirée ne se passait pas, comme nous l’avions vécu sans plaisir, autour des caprices de l’enfant, à ne parler que de lui, à ne pas pouvoir tenir une conversation suivie, brisant l’amitié au profit du bien-être supposé de l’enfant, sans aucun profit pour personne. Que d’amis avons-nous renoncé à aller voir car leur rendre visite était devenu un calvaire, leurs enfants s’interposant, s’imposant, et empêchant tout échange. Les filles se souviennent du petit pincement qu’elles avaient lorsqu’elles devaient aller se coucher, mais disent avoir apprécier encore plus le jour où nous les avons autorisées à rester avec nous : ce fut alors pour elles un vrai plaisir de rester avec « les grands » et de partager nos soirées. Je pourrais citer de nombreux autres exemples de défense de notre vie d’adultes, le droit de parler sans qu’elles nous interrompent, et sans qu’elles se mêlent de notre conversation, le droit de décider ce qui nous  semblait être de notre ressort et de notre compétence, sans qu’elles puissent le contester, le refus de jouer avec elles quand nous avions un travail à faire… En gros nous avions des pans de vie réservés, nécessaires et indispensables pour avoir envie de revenir près d’elles et de nous consacrer à leur épanouissement mais nous avions bien conscience que si nous avions renoncé à tout, nous leur en aurions voulu assez rapidement et qu’inconsciemment nous aurions eu envie de nous libérer.

samedi 6 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -6-

Les deux ou trois idées-force que nous avons cru découvrir à la lecture du livre nous servirent de repaire pour adapter notre comportement aux événements. Tout d’abord l’enfant, le bébé surtout, sait mieux que le parent le mieux intentionné du monde ce qu’il lui faut, ce dont il a besoin, et il le manifeste toujours très nettement. Le message n’est pas forcément très clair, mais les parents étant par définition inquiets de son bien-être et soucieux de bien faire, ils découvrent rapidement la signification des manifestations de douleur, de malaise ou de joie du bébé. C’est ainsi que nous avons dès les premières semaines évité de réveiller Marie en pleine nuit pour lui faire avaler un biberon qu’elle ne réclamait pas. Le résultat est qu’elle fit des nuits entières très rapidement, nous n’étions pas fatigués et ravis de la retrouver le lendemain matin pour le premier bib. Certes notre entourage s’émut de cette indifférence, nous fûmes taxés de dureté de cœur, d’indifférence ou de cruauté, déjà !… mais, sans doute est-ce là le bénéfice de l’âge, ces accusations ne nous atteignirent pas, puisque Marie allait bien, ne se réveillait pas pour réclamer, nous avions parfaitement bonne conscience.
C’était pour nous un entraînement moral à ce que fut la suite de notre aventure : la confrontation au regard critique de notre entourage, choqué, outré par notre attitude, prêt à nous vilipender et à nous bourreler de remords. Mais je serai amenée à reparler de cet aspect particulièrement difficile à gérer de l’éducation de nos filles. Pour l’instant, ce sont des bébés qui, nous l’avons constaté, savent ce dont ils ont besoin, et se débrouillent pour l’obtenir. C’est ainsi que suivant leur rythme, d’autant plus aisément que nous n’avions absolument aucune idée préconçue en la matière, vu que nous étions totalement ignares, nous n’avons connu aucune problème de nourriture, aucun problème de sommeil, ni d’agitation incontrôlée. Elles nous ont appris notre métier de parents, et nous n’avons eu qu’à les suivre.

D’aucuns se sont, bien évidemment, insurgés contre ce qu’il estimaient être une permissivité extrême, source selon eux de tous les dangers possibles en matière d’éducation.  Comme si le bébé avait déjà la volonté d’user de la bonne volonté de ses parents, et qu’il ait dès les premières semaines la rouerie d’en abuser. Il pleure quand il a faim, il suffit alors de lui donner son biberon pour le calmer et le rendre heureux. Pourquoi se compliquer la vie, lui faire attendre des heures fixes, lui imposer la têtée quand il n’en veut pas et l’obliger à terminer le biberon quand il renâcle. Pour avoir pratiqué, sans doute avec une belle inconscience, les horaires décidés par nos filles, je puis vous garantir qu’elles trouvèrent toutes seules le rythme qui leur convenait, burent les quantités nécessaires à leur croissance harmonieuse, et que les repas ne furent jamais entre nous à cette époque-là source de conflits ni d’inquiétude. Certes, nous avions quelques idées en la matière, et ainsi nous avons évité de rajouter le moindre grain de sucre dans leur lait pour les inciter à finir les biberons, persuadés que si nous commencions à leur donner le goût du sucre, nous déséquilibrerions leur appétit. Nous leur avons donné beaucoup de légumes dès le début, et avons pris la peine de les assaisonner de façon agréable pour leur plaisir gustatif. Il semble qu’elles ont acquis des goûts éclectiques qui existent toujours, aimant à peu près tout, n’ayant pas de passion excessive pour le sucre, les frites ou le coca et appréciant toutes sortes de légumes. Les déséquilibres en matière de nourriture sont apparus beaucoup plus tardivement, et nous avons alors mesuré avec horreur combien ce domaine est fragile.

jeudi 4 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -5-

Le premier de nos maîtres fut en la matière le docteur Spock. Le livre du plus célèbre et le plus controversé des grands pédiatres de ce siècle fut notre livre de chevet dans les premiers mois. Benjamin Spock, pris dans le courant de changements qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, est l’auteur du livre intitulé The Common Sense Book of Baby and Child Care (Le livre du bon sens pour le soin du bébé et de l’enfant), plus tard simplement appelé le Dr. Spock’s Baby and Child Care (Le soin du bébé et de l’enfant selon le Dr. Spock) Peu de livres ont un impact aussi important sur l’éducation des enfants, mais quand nous l’avons découvert il n’était plus révolutionnaire, contesté par les uns pour son laxisme, par les autres comme n’ayant pas su aller assez loin dans la libération de l’enfant de la tutelle autoritaire de ses parents. Nous, nous l’avons lu avec naïveté, sans le moindre a priori idéologique : nous n’étions plus tous jeunes, nous n’avions cotoyé ni l’un ni l’autre de petits enfants jusque là, et en un mot ne savions pas trop dans quel sens attraper le bébé qui trônait dans son berceau tout neuf.
Nous aurions espéré, dans le plus pur style classique quelque soutien et quelques conseils de nos parents, mais, outre le fait que nous les aurions sans doute mal reçus, ces derniers étaient sinon incompétents, du moins pas du tout intéressés par les problèmes pratiques que posent les bébés. A croire qu’ils n’en avaient pas eu eux-mêmes (si peu, en fait, Michel est fils unique, et  moi aussi, enfin presque), en tout cas, cela ne les avait pas marqués. Il nous fallait donc improviser, ce qu’on fait sans doute plus facilement à 20 ans qu’à 30 et nous étions très soucieux de bien faire. C’est un peu par hasard que le livre que j’achetai fut celui du Docteur Spock, mais je dois avouer que, pris au premier degré, sans chercher à leur donner une valeur philosophique ou à y lire un fait de société, ses conseils nous convinrent parfaitement. Ils nous semblaient pétris de bon sens, et nous les appliquâmes joyeusement.

J’ai depuis donné mon précieux livre, tout déchiqueté, à mon ami le plus cher, quand il a eu lui-même des enfants. Je ne sais trop l’usage qu’il en fit, mais il me semble, au vu des difficultés dont il me parle qu’il n’en a pas eu la même lecture que nous, et qu’il n’a pas appliqué les préceptes de Spock dans le même sens que nous. Pas étonnant dans ces conditions que les avis soient partagés sur ce pédiatre, chacun interprétant sans doute ses préceptes à sa façon. L’auteur est tenu pour responsable en cas d’échec, mais finalement ce sont sans doute les parents qui se compliquent la vie. C’est pourquoi, plutôt que de retrouver l’ouvrage, et d’y rechercher la lettre du texte, je vais dans un premier temps essayer d’en reconstituer l’esprit tel que nous l’avons retenu. Il sera toujours temps ensuite de faire un retour sur réflexion, et de comprendre en quoi le docteur Spock est l’objet de tant de contestations et de remises en cause.

mardi 2 novembre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -4-

Pendant ce temps, Michel continuait à soigner sans état d’âme sa patientèle locale, déçu de la tournure que prenait le développement de son cabinet, très rural, et peu sujet à évoluer. Le 10 décembre 1984, alors que nous attendions Marie pour la fin du mois de janvier suivant, nous étions à Bordeaux pour quelques achats « de Noël ». Je feuilletai des livres dans la grande librairie locale, objet de nos visites nécessaires à chaque déplacement, histoire de se donner l’impression que nous étions encore capables de penser ! Et de façon aussi inattendue que gênante, là, devant le rayon des essais et autres mémoires, la naissance s'annonça de façon irréfutable. La légende familiale s’est depuis construite autour de cet événement mineur. Marie, fortement attirée par le goût, l’odeur ou les flux positifs qui émanaient des livres qui m’environnaient, avait décidé que l’attente suffisait, et annonçait sa venue au monde avec presque deux mois d’avance. C’est très amusant de composer a posteriori des légendes dorées, et de faire ainsi l’hagiographie des humains, en fonctions de ce qu’on sait, plus tard, qu’ils vont devenir ! La tradition veut, depuis, que Marie ait manifesté ce jour-là son caractère littéraire. Le lendemain Michel, émerveillé, m’annonça sa décision de se faire beau pour accueillir sa fille, et se  mit effectivement sur son trente et un pour son arrivée dans ma chambre (elle avait passé quelques heures en couveuse auparavant).

Difficile d’expliquer ce qui me mit alors en mouvement : l’ennui provoqué par un séjour forcé autour du berceau, la vocation pédagogique la plus pure, profondément ancrée dans mon inconscient, un amour maternel forcené ou au contraire la crainte de ne pas trop savoir m’y prendre et la volonté de bien faire ? Toujours est-il que je me mis dès lors au travail, et me plongeai dans la littérature consacrée à l’éducation des enfants avec enthousiasme. Marie m’a depuis reproché cette manie de toujours chercher la solution aux problèmes d’éducation que nous rencontrions dans les livres, j’y reviendrai. Il me revient à cet égard une remarque acerbe de ma propre mère qui admettait mal que les parents aient, selon elle, toujours tort… « C’est la seule chose qu’on ne nous ait jamais apprise, de devenir parents. Alors, on fait ce qu’on peut, on improvise ! ».

dimanche 31 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -3-

J’avais en la matière une expérience antérieure qui me sembla a priori excellente, et qui se révéla, a posteriori, un désastre. J’avais, durant mes années de faculté, travaillé au service des Relations extérieures d’une grande entreprise de recherche et d’exploitation pétrolière. J’étais « conférencière ». Mon travail consistait, en toute simplicité, à améliorer l’image de marque de la société, en expliquant, arguments scientifiques à l’appui, comment les « pétroliers » étaient des gens consciencieux, attentifs à l’environnement, et préoccupés par l’avenir économique et humain de leurs semblables. Imaginez que tout cela se déroulait sur fond d’Amocco Cadiz, et vous comprendrez combien cette formation aux relations publiques fut enrichissante.
Oui, mais voilà, les relations publiques n’ont strictement aucun rapport avec la démarche pédagogique, et si cette expérience me fut par la suite utile pour ranimer avec brio l’intérêt d’une classe inattentive, elle me plongea au début dans un abîme d’erreurs. J’essayais de vendre à mes élèves, à grand renfort de séduction et de diplomatie, les rudiments de la gestion et ceux, encore plus modestes de l’informatique. Ils s’amusaient beaucoup de cette gentillesse inaccoutumée, de ce manque d’autorité, et de ce discours commercial. Il en résulta pour moi l’année la plus périlleuse de ma carrière, navigant par gros temps à chaque intervention, redoutant chaque heure de cours comme une bataille dont je connaissais l’issue inéluctable, chahut et inattention.

Tout cela se déroulait sur un emploi du temps proprement délirant, une heure un jour, deux heures le lendemain, des kilomètres permanents, des nuits passés sur un canapé chez ma mère qui n’avait pas de chambre à m’offrir, et surtout la hantise de chaque nouvelle confrontation. Lorsque la fin de l’année arriva, et que je fis ma déclaration d’impôts, je décidai de déclarer mes frais au réel, et non de retenir le forfait de 10% attribué normalement aux salariés. Le résultat était, bien sûr, terriblement négatif. L’effet ne se fit d’ailleurs pas attendre : l’année suivante, un inspecteur des impôts aussi terrible que stupéfait, me convoqua, exigea des comptes et des explications, et finit par conclure, désespéré : « Mais vous allez continuer longtemps ainsi ? ».  Non, bien sûr, et aussi douloureuse que soit cette année d’apprentissage, je décidai de passer cette année-là le concours d’entrée dans l’Education Nationale.
Ayant été reçue au CAPET d’économie et gestion, je démarrai alors ma carrière officielle. Un maître de stage compétent et sympathique m’apprit sans détour les ficelles du métier. C’est en 1984, enceinte de Marie et sans aucune préparation, que je passai, et obtint, l’agrégation de la même matière, ce qui me permit d’améliorer ma situation financière, pédagogique et m’apporta quelques encouragements pour ce métier qui devait finalement, sans que je m’en sois jamais douté, être ma vocation.

vendredi 29 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -2-

Fils d’émigrés italiens, élève brillant qui avait réussi dans le système républicain grâce aux bourses que l’on distribuait alors au mérite à ceux dont l’Etat espérait qu’ils formeraient ensuite l’élite de la nation, mon père vouait à l’Instruction Publique un respect sans borne, et s’émouvait à l’avance de cette petite école qui accueillerait et formerait ses petites filles.  Ma mère, plus discrète, avait froncé les sourcils d’un air un peu grondeur : nous n’avions pas d’enfant en 1980, et cette remarque lui semblait maladroite. Pourtant elle partageait forcément cet enthousiasme, elle qui vouait à ses anciennes institutrices un souvenir ému, et qui n’avait abandonné son poste de jeune enseignante que pour  des motifs futiles, mais inattaquables, d’inconfort et de panique incontrôlée devant la tâche ingrate qui l’attendait. Nommée dans une école reculée de la campagne Forézienne, elle prit peur en arrivant dans son nouveau poste, insalubre et malsain, et ne put supporter la perspective insurmontable d’enseigner à ces têtes bornées et morveuses qui la regardaient comme une bête curieuse, trop élégante, trop raffinée. Elle démissionna dans l’heure, et décida illico de trouver un travail plus adapté à ses ambitions de vie. Même respect de l’institution scolaire du côté de chez Michel, fils de professeur, petit-fils et arrière petit fils d’instituteurs périgourdins, et qui a grandi dans une ambiance de respect des hussards noirs de la République.

Mais le rêve de mon père devant cette petite école de campagne n’est encore que virtuel, car comme je le disais en 1980 nous n’avons toujours pas d’enfants. Choix qu’on ne peut dire raisonné, mais c’est sciemment que nous continuons à vivre nos découvertes et notre construction de la vie à deux seuls. Cette optique vaguement hédoniste et nécessairement égoïste nous apparaîtra un jour réductrice et dangereuse. Nous prendrons conscience alors qu’il est dans la nature de l’amour de donner, d’élargie son d’action, donc de procréer.
En attendant, je cherche du travail. La proximité de la ville de Cognac nous avait quelque peu réconfortés lors de notre installation en ces lieux reculés. Il nous semblait que la quantité de maisons de négoces, d’entreprises liées à l’activité des spiritueux, était rassurante, et devait m’offrir des débouchés en lien avec mes études et mon niveau universitaire. Nous étions d’une naïveté déconcertante, et a posteriori nous avons compris qu’ici plus qu’ailleurs, trouver du travail sans relations relevait de la plus pure utopie. Celles que nous fîmes intervenir étaient obsolètes ou insuffisantes, sans doute le sont-elles toutes. Je commençais à désespérer, et allais même jusqu’à faire bénévolement des traductions franco-italienne et vice versa pour l’organisme manitou du secteur, le Bureau International du Cognac, espérant, en vain, qu’on m’en serait un jour reconnaissant. Une telle candeur a de quoi faire sourire les gens du cru, et sans doute furent-ils ravis de cette aubaine inespérée, sans jamais se sentir à mon égard la moindre obligation, j’étais par trop simplette dans mes attentes !

Il me fallut donc trouver autre chose, et ce fut par l’intermédiaire de l’APEC que je trouvai un emploi de maîtresse auxiliaire dans un lycée privé sous contrat de l’Académie de Bordeaux. Cet établissement, bien sous tous rapports, mais terriblement esclavagiste, m’offrit le contrat suivant : 6 heures de cours par semaine, soit un tiers-temps et un salaire à l’avenant, sur 4 jours. Il s’agissait tout simplement de faire des cours d’informatique et de gestions à de jeunes gamins insupportables qui n’en avaient cure. L’informatique, dans ces années reculées, se limitait au niveau de l’enseignement à un brouet théorique vaguement pédant, et à approche tâtonnante du langage Basic. Pour la théorie, je m’offris TOUS les livres que je trouvais dans les librairies bordelaises, développant à qui mieux mieux la définition sésame de la matière « analyse automatique de l’information ». Pour la pratique, je m’initiai sans trop de problème à la logique de base de ce langage anglo-logique, et développai avec mes élèves des petits programmes d’une niaiserie surprenante. Le plus dur fut de faire face à l’agitation chronique de ces jeunes gens (la majorité de mes élèves était des garçons), impertinents et troublés par ma gentillesse et mon inexpérience.

mercredi 27 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -1-

« Bonne année »… nous heurtons gaiement nos verres, assis sur des caisses mal assurées. Notre repas de fête est sobre : quelques crevettes grises, parfumées à l’anis étoilé, de celles qu’on déguste en cornet sur les bords de la Gironde, une boîte de pâté made in Périgord par belle-maman et du pain à moitié frais. Dès le premier jour, nous avons découvert une des coutumes locales, le pain « froid », c’est à dire, par un de ces étranges euphémismes dont nous apprendrons peu à peu la signification, du pain de la veille. Nouveaux venus dans le village, nous avons été victimes de cet usage inhospitalier qui consiste à refiler les restes aux gens de passage, gardant pour les natifs le pain « chaud ». 
C’est le premier janvier 1980, le temps est clair et doux, et nous venons d’arriver dans cet appartement lumineux mais exigu, installé au dessus de la mairie et attenant au cabinet dentaire que Michel a racheté à un confrère aussi insouciant qu’original. Les déménageurs ont déposé la veille nos meubles et cartons dans un désordre d’autant plus marqué que nous n’étions pas là pour les réceptionner. Nous sommes arrivés le matin même, et avons fait quelques modestes emplettes pour déjeuner, et ce repas de fête sommaire sera notre première vraie journée à Pérignac. Mariés depuis presque 4 ans, nous vivions jusque là à Pau, où Michel était collaborateur chez un confrère, pendant que je terminais mes études de droit et d’économie. Mais cette situation devenait précaire, et nous avons décidé, avec un enthousiasme limité, de sauter le pas, et de nous installer « pour de bon ». Nous avions modérément envie de devenir vraiment adultes, mais il fallait bien franchir le cap et abandonner notre état de semi-étudiants, insouciants et sans attache.
Après une période assez exaltante de recherche,  c’est toujours amusant de visiter des cabinets dentaires, de découvrir des modes d’exercice différents, de rêver aussi à des implantations nouvelles, notre choix s’est arrêté sur ce modeste bourg de Charente Maritime, peut-être parce que nous pensions qu’il y avait là un potentiel de clientèle à développer (ô la naïveté de la jeunesse qui croit toujours qu’elle fera mieux que ses aînés), à moins que ce ne soit à cause de notre passion pour les églises romanes. Ce serait moins respectable, car un peu farfelu comme motif d’investissement professionnel, mais la Saintonge romane exerçait sur nous une véritable attraction, et n’a à cet égard rien perdu de son charme.

L’église du village, fortifiée au XIVème siècle, dégage une puissance évocatrice particulière. De taille plus imposante que les autres sanctuaires de la région, elle ne présente pas la façade saintongeaise traditionnelle, et développe un schéma iconographique particulièrement riche.  Au-dessus du portail repris en sous-œuvre à l’époque gothique, se déploie une double série d’arcatures. La galerie inférieure représente les douze apôtres, entourant la Vierge, sous des arcs brisés bordés de pointes de diamant et séparés par de fines colonnettes qui encadrent un pilastre léger. Au-dessus, les arcs beaucoup plus riches avec leur ornementation de feuillages en rinceaux et d’animaux sculptés abritent un schéma cher aux sculpteurs locaux : les Vertus terrassant les vices. Huit élégantes statues aux longs manteaux, armées de lances ou d’épées, le bouclier levé, casquées ou nimbées, terrassent les figures sataniques grimaçantes sans effort apparent. Certaines sont restées inachevées, et trois blocs de pierre en attente d’être sculptées complètent la rangée. Si la façade était ravalée, on aurait l’impression qu’on vient de découvrir le chantier en cours, revenant par une illusion émouvante à ce temps prolifique « où les cathédrales étaient blanches ». Au centre de cette suite de guerrières altières, s’élève une fenêtre en plein cintre, plus haute et plus large que les niches qu’elle encadre, surmontée par une voussure à têtes de chevaux, tous les claveaux étant soigneusement taillés avec naseaux, yeux pétillants et oreilles vibrantes. Le pignon, jadis triangulaire, et orné d’une foule de petits motifs en modillons éparpillés, a été aplati lors de la fortification, tronqué sans grâce, et terminé à la hâte par une corniche sommaire. Il a cependant conservé la mandorle de l’Ascension du Christ, flanquée de deux anges étêtés posés sur de légers nuages, et d’une pierre de remploi dissymétrique, dont l’ange contraste avec les autres par son statisme et sa lourdeur.

L’ensemble a de l’ampleur, avec un côté mystique et didactique à la fois, mêlant sans complexe le discours vaguement prosélyte de ces Vertus triomphantes au charme naturaliste de ces équidés prisonniers de leurs claveaux, comme alignés sur le même mors de bride. La place devant l’édifice est vaste, et il est tout à fait loisible aux touristes de prendre le recul nécessaire pour admirer la façade. Sur le côté droit, surélevée de quelques marches qui furent moussues, mais que le zèle intempestif des élus locaux a récemment refaites dans le plus sinistre alignement, s’étend la place des marronniers. A gauche, séparée de l’esplanade par une barrière sans élégance, se dresse dans un bâtiment du plus pur style Jules Ferry, l’école primaire. Lorsque nous sommes arrivés, elle était encore dans un état approximatif, et mon père s’était écrié avec émotion en contemplant son portail branlant : « Voilà l’école qui accueillera mes petits enfants ! ».

lundi 25 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 10

Il fallait aussi réapprendre à faire des projets, et si possible des projets en commun. Il y a eu à cet égard une période un peu floue durant laquelle Michel s’est lancé avec frénésie dans l’engagement syndical. Je me suis sentie totalement larguée, je n’avais quant à moi plus aucun engagement associatif, tout ce que je faisais jusque là étant lié aux filles. Ma profession m’occupait, certes, mais conjuguant l’expérience acquise et une certaine sérénité due à l’ancienneté, cela me paraissait bien léger après la période précédente. Fallait-il que je cherche à mon tour des engagements, pour m’occuper ? L’âge et certaines déceptions aidant, j’avais perdu un peu la foi dans l’associatif et n’avais nulle envie de m’engager pour m’engager. Fallait-il que je change de travail pour avoir plus d’obligations, pour de nouveau me confronter aux difficultés du début, de nouveau connaître les angoisses de l’apprentissage ? J’ai très sérieusement envisagé de me reconvertir, mais devant la perspective conjuguée d’un inconfort matériel certain car toute nouvelle profession m’obligeait à quitter ma région, et d’une dégradation prévisible de nos revenus, j’ai finalement abandonné cette ambition. J’ai donc petit à petit essayé de reconstruire mon horizon, et une étape primordiale de cette reconstruction m’a toujours semblé être la rédaction de ce blog.
Elle a été longue à entreprendre car finalement je n’avais pas aveuglément confiance en nous, et j’avais besoin que le temps me démontre que les filles s’en sortaient. Certes elles avaient obtenu toutes le baccalauréat brillamment, mais là n’était pas notre ambition essentielle, et elles auraient sans doute obtenu ce diplôme sans difficulté au sein du système scolaire traditionnel. Notre challenge était ailleurs, nous voulions en faire des adultes heureuses, équilibrées, armées pour la vie, bien dans leur peau, ayant en main un maximum d’atouts pour réussir leur vie. Il a fallu attendre pour s’assurer que leur intégration se passait sans accroc, pour avoir des informations en retour sur leur niveau réel, mises en compétition avec des jeunes vraiment brillants. Il a fallu patienter aussi pour leur laisser le temps de s’adapter, de se confronter aux autres, pour s’assurer qu’elles ne conservaient pas de séquelles de cette longue période un peu hors du monde où nous les avions « cultivées », choyées mais aussi peut-être trop protégées. Il fallait du recul pour détecter et analyser les erreurs commises. Aujourd’hui, Marie a terminé Sciences Po Paris depuis maintenant 3 ans,  Hélène a le double diplôme de Centrale Lille et de l'ENSAE, toutes deux travaillent et il me semble que nous avons un regard plus serein sur leur situation et que ce bilan peut enfin être rédigé.
Le blog n'est en fait que l'ultime étape de cette aventure. Ecrit il y a déjà assez longtemps, je profite de la publication pour relire une dernière fois ces lignes. Jamais nous ne parlons de ces années avec les filles, et nous respectons leur silence. Elles n'aiment pas, je crois, que nous évoquions cette époque : pas envie d'être "spéciales", "pas comme les autres", pas envie de nous voir jouer les anciens combattants, pas besoin de faire le point sur ce qu'elles ont vécu sans en avoir réellement fait le choix. Contrairement à nous qui avons vécu l'histoire, puis sommes passés à autre chose, elles ne se sont pas forcément approprié cette partie de leur vie et n'ont pas encore assez de recul pour pouvoir en parler avec nous. Mais, il suffit, je n'ai pas à être, en plus de maman et de prof, la psy de ces demoiselles !!

samedi 23 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 9

Pour nous enfin, Michel lira mes lignes et les complètera avec précision et je sais qu’il aura à cœur de ne laisser aucune approximation entacher mon récit. Quant à moi, j’éprouve l’intense besoin de clore ce chapitre de notre vie par une relecture sans complaisance mais que j’espère positive de ces années un peu hors du temps. Cela me permettra d’exorciser les angoisses, de reprendre pied dans un réel normalisé et surtout de faire le point. Une telle aventure, qui a tout de même duré plus de 15 ans, laisse un peu sur le flanc. On y consacre toutes ses forces vives, puis un beau matin il faut reprendre une route plus simple, il faut se reconstituer une autonomie, une indépendance, il faut se retrouver des raisons d’avancer dans un contexte devenu soudain étonnamment facile, bizarrement insipide. On regarde les années écoulées avec stupéfaction, saisi d’un doute : était-ce bien raisonnable ? Il a fallu tant de renoncements qu’il n’est pas évident de reprendre contact avec le désir, une recherche de plaisir qui ne passe plus par le goulet imposé de l’intérêt pédagogique. J’emploie à dessein le mot goulet, c’est un passage obligé, donc qui en tant que tel pourrait paraître réducteur. Mais il faut reconnaître aussi que cela simplifie les choix, on connaît l’objectif visé et tout devient évident, les décisions s’imposent d’elles-mêmes. Quand on a admis qu’il fallait renoncer à toute ambition personnelle, quand on a décidé de canaliser toute son énergie vers ce but exaltant d’éveiller de jeunes consciences, de leur fournir matière à vivre et à vibrer, on avance joyeusement sur le terrain de l’abnégation. Cela n’a rien de réducteur. C’est un choix délibéré et très enthousiasmant. On finit par s’y plier sans réfléchir. 
Et voilà qu’un beau matin, il faut de nouveau agir pour soi, avoir d’autres projets, reprendre pied dans le normal, retrouver ses marques aussi. Car on a un peu l’impression de s’être arrêté 15 ans plus tôt, en ce qui concerne son propre épanouissement. C’est un baby-blues géant, vous savez cette période un peu dépressive que vivent les jeunes mamans après leur accouchement. D’avoir attendu bébé pendant neuf mois, d’avoir adopté un rythme de vie fusionnel avec ce fœtus réel, enfant virtuel qui grandissait en elles, les laisse désemparées devant un quotidien tout à coup fort agité. Mais pour le baby blues c’est simple, les obligations matérielles s’imposent et nécessité fait loi. Très vite il faut réagir, nourrir, bercer, cajoler, changer, laver, bref s’occuper de ce bébé qui lui ne souffre d’aucune dépression naissante. L’action permet de triompher du vague à l’âme. Pour moi ce fut plutôt l’inaction qui m’engluait, et je disais à qui voulait l’entendre que j’avais soudain l’impression de me retrouver à la retraite. 
C’est bien cela qui s’est passé, une sorte de syndrome du retraité. Perte d’identité sociale en même temps que baisse brutale d’activité. Il était d’autant important de redémarrer avec entrain que nos filles, propulsées vers des études plutôt brillantes, ne pouvaient se voir infliger au retour à la maison des parents légumes, soudain privés de toute capacité d’ouverture d’esprit. Il fallait aussi que Michel et moi nous reconstituions notre couple. Non que l’expérience l’ait mis à mal, mais nous étions tellement devenus l’entité « parents » et l’entité « professeurs » que nous avions oublié d’autres dimensions de notre connivence antérieure. Cette dimension fut paradoxalement celle qui revint le plus vite, au grand dam de nos filles qui se sentirent parfois exclues de notre nouvelle vie. Nous avions surmonté ensemble une telle gageure que l’avenir ne pouvait qu’être lumineux. Nous nous sommes retrouvés comme au début de notre route commune, simplement plus forts, plus unis par cette expérience si fermement partagée.

jeudi 21 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 8

Loin de nous l’idée de faire de nos filles des singes savants, et ce blog sera aussi l’occasion de dénoncer ce travers fréquent, sans doute excusable, mais très néfaste, dont nous fûmes systématiquement suspectés. Pourquoi en effet, refuser de scolariser ses enfants, quand on n’est pas marginal ou anarchisant, sauf à les croire ou prétendre surdoués ? Nous avons toujours regretté de n’avoir pas à portée de chez nous un établissement de qualité susceptible de les accueillir, et de nous décharger de cette tache complexe et souvent ingrate que nous avions entreprise. Quant à les prétendre surdouées, nous n’avons jamais voulu rentrer dans ce débat inintéressant. Elles ne furent jamais soumise à aucun test d'évaluation de leur QI, ne serait-ce que pour résister à la tentation d'en tirer quelque gloriole. Notre souci a été de permettre à chacune de développer ses talents, d’être curieuse, ouverte, cultivée, mais surtout d’éviter tout bourrage de crâne précoce, et de ne les pousser en rien. Pas question de profiter du temps libéré pour en faire des virtuoses, ou des sportives de haut niveau. Ce genre d’enfermement précoce dans une voie prédéfinie, souvent reflet des ambitions ratées des parents, nous a toujours rebutés. Pourtant Marie avait un réel talent de pianiste, et il m'arrive parfois de regretter, pour elle, pour le plaisir de sa vie d'adulte, ne l'avoir pas plus poussée dans cette voie.
Alors pourquoi ce blog ? Pour nos filles d’abord, afin qu’elles relisent avec le recul qu’elles ont maintenant, engagées dans des études « normales », ce temps partagé dont nous avions conscience qu’il était rare, précieux, exceptionnel, mais qui était parfois bien difficile à vivre, le nez dans le guidon. J’espère qu’elles y écriront un chapitre pour donner leur version des faits et exposer leurs impressions a posteriori, avec la maturité et leur capacité de juger ce qui était positif et de dénoncer les erreurs commises. 
Pour nos amis ensuite, pour ceux qui ont tremblé de notre audace, pour ceux qui nous ont soutenus, défendus et encouragés. Pour ceux qui y ont cru, et ils avaient raison, et pour ceux qui nous ont traités d’inconscients, et ils avaient aussi raison. Mais surtout pour dire à ceux qui rêvent de faire pareil que c’est une expérience certes merveilleuse, mais ô combien risquée et que l’énergie déployée est rarement à la portée des parents aussi bien intentionnés soient-ils. Nous avons eu la chance de conjuguer plusieurs facteurs porteurs, notre installation à la campagne (qui était par ailleurs réductrice quand il s’est agi d’inscrire nos enfants dans un établissement de bon niveau), nos professions qui nous permettaient une certaine liberté d’organisation du temps, notre conception commune de l’éducation et de l’instruction, une volonté farouche et partagée de nous donner à fond à cette tache, notre complicité et nos tempéraments si différents et si complémentaires. Cela n’aurait pas été possible sans la patience jamais prise en défaut, même s’il s’insurgeait d’avoir à remplir ce rôle de modérateur, de Michel, toujours prêt à m’écouter égrener les difficultés insurmontables que nous surmonterions nécessairement le lendemain. J’avais besoin de dédramatiser en exprimant mes craintes, et Michel supportait vaillamment ces logorrhées verbales, ces remises en cause permanentes. Cela n’aurait pas été possible non plus sans mon énergie farouche, persuadée qu’il suffisait de vouloir et d’être armé des meilleures intentions du monde pour déplacer des montagnes. Une énergie dont j'ai, depuis, appris qu'elle était l'apanage de la jeunesse et qu'il n'est pas forcément bon d'en user sans discernement. Autant dire qu'une certaine forme de sagesse me fait souvent remettre en cause le choix dont ce blog se fait l'écho !!

mardi 19 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 7

J’y allais en fait très rarement à la maternelle, m’ennuyait ferme en dessinant des bâtons d’une main maladroite (maman m’avait appris beaucoup de choses, mais pas à tenir un crayon), et n’ai pas souvenir d’y avoir fait quoi que ce soit, hormis la sieste, autre coutume étrange que je découvris à cette occasion. Toujours est-il qu’au mois de juin, la maîtresse vint voir ma mère à la maison (oui, oui, elle se déplaça) et lui suggéra pour la rentrée prochaine de me faire « sauter » le cours préparatoire, classe selon elle bien inutile pour moi car on ne faisait qu’y apprendre à lire. Ma mère prit l’engagement de m’apprendre pendant les vacances, reçu de la maîtresse un superbe manuel de lecture qui parlait de l’ours Michka, et fut très flattée de cette intervention. Mais elle oublia totalement sa promesse, et ce ne fut que lorsqu’arriva la rentrée, qu’elle me fit avaler l’histoire de Michka à une allure défiant toutes les méthodes classiques de lecture. 
Le 1er septembre, je savais lire, tant bien que mal, toujours pas tenir un crayon, mais j’étais parée pour affronter un CE1. C’est vrai que je ne ressentis aucune difficulté durant cette première véritable année d’école, et que je fus très vite au niveau requis. Mis à part que j’écrivis comme un chat durant plus de dix ans, et que je ressentis toujours le malaise d’être « à part », plus jeune (j’avais finalement deux d’avance à cause de ma naissance en décembre), la seule véritable mésaventure fut celle qui m’arriva le jour de la rentrée. La maîtresse, soucieuse de tester le niveau de ses troupes, entrepris de faire réciter l’alphabet à chacun des enfants de la classe. Alphabet avez-vous dit ? Maman avait encore oublié cela dans mon éducation, et je me demandais bien ce qu’était cette chose là, déjà paniquée d’avoir à avouer mon ignorance. Fort heureusement elle commença à faire réciter l’autre bout de la classe et mon tour ne vine qu’en dernier. Cela m’avait laissé le temps de retenir cette litanie étrange, et de la réciter impeccablement, très fière de mon exploit. 
Ma mère faisait de toute évidence partie de ces mamans enthousiastes mais désordonnées dont parlent les Doman dans leur livre « J’apprends à lire à mon bébé, la révolution douce » que la marraine de Marie m’offrit quand celle-ci eut 3 ans. Les auteurs classent les mamans en deux groupes, les « follettes » qui font tout en s’amusant, et les autres, les prudentes, qui prennent leur tache trop au sérieux. Et ils remarquent que les premières réussissent bien mieux, même si les secondes obtiennent des résultats très honorables. Il faut croire qu’armée de ce livre, je fus parfaitement incompétente, car je ne parvins pas à grand chose avec Marie au moyen de leur méthode. Je fabriquai un grand nombre de cartons comportant des mots affectivement positifs, maman, papa, lapin ou autre ours… Je les lui montrai avec constance mais sans doute sans conviction car elle ne progressa nullement et j’abandonnai vite la méthode, moi aussi. C’était sans doute trop tôt en fait, quoiqu’en disent les auteurs qui prônent avec un enthousiasme communicatif cette découverte dès le berceau.

dimanche 17 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 6

C’est en général en moyenne section qu’il commence à vouloir lire les enseignes des magasins, les affiches dans la rue et qu’il s’empare des livres qui sont à sa portée pour s’y consacrer avec un sérieux inébranlable. Certains parents se contentent d’en sourire, la plaisanterie la plus courante consistant à s’amuser du fait qu’il prend les livres à l’envers et s’y plonge avec délectation, faisant semblant de lire. D’autres se renseignent alors fébrilement, pour trouver la meilleure méthode pour leur apprendre la lecture, et nous avons très souvent conseillé des ouvrages à des parents que le zèle instructeur n’avait pas abandonné, en ayant cependant bien soin de les mettre en garde contre le risque d’ennui qui guettait leur enfant, s’il savait lire deux ans avant les autres. Il est très intéressant de remarquer qu’aucun n’a mené à bien l'aventure envisagée, et le livre d’apprentissage est resté dans un tiroir. Sans doute ont-ils renoncé car, même si la tache est aisée, elle demande dès le début une grande rigueur et surtout une énergique persévérance de façon à ce que l’enfant, encouragé par ses progrès, ait envie de continuer. Notre quotidien est souvent trop agité pour que les parents prennent le temps, de façon régulière, de consacrer un moment chaque jour à ces leçons. Dès lors que cela se fait un peu au hasard, sans organisation, voire sans cérémonial, l’enfant se lasse, et les progrès se font attendre. Tout le monde se décourage, et on se dit que, finalement, l’école fera cela mieux que vous !
           Ma propre expérience est à cet égard révélatrice. Lorsque j’étais petite la scolarisation était moins précoce qu’aujourd’hui, et ma mère s’amusait tellement avec moi que je la soupçonne d’avoir oublié de m’y inscrire. Lorsqu’arriva l’année de mes 6 ans, je suis du mois de décembre, elle s’ avisa brusquement vers le mois de mars qu’il faudrait m’inscrire à la rentré prochaine au cours préparatoire et que je n’avais aucune expérience de l’école. Elle m’inscrivit en toute hâte en maternelle. J’en conserve une impression bizarre, le seul souvenir marquant étant celui de la cour de récréation emplie de gamins ayant des pansements autour de la tête. Les garçons se battaient, ou faisaient tomber les filles. Il est certain que cette école n’était sans doute pas aussi violente qu’il m’a semblé alors, mais ce premier essai de sociabilisation tardive m’a fait l’effet de la découverte d’un monde brutal. Je devais avoir l’air particulièrement vulnérable, car un petit dur me prit sous sa protection et entreprit de me venger dès que quelqu’autre garnement s’attaquait à moi. Il en fut pour de superbes bandages autour du front, qu’il arborait avec toute sa fierté de chevalier servant.