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mercredi 27 octobre 2010

Le décor de l’aventure ou la future école « Fan de Loup » -1-

« Bonne année »… nous heurtons gaiement nos verres, assis sur des caisses mal assurées. Notre repas de fête est sobre : quelques crevettes grises, parfumées à l’anis étoilé, de celles qu’on déguste en cornet sur les bords de la Gironde, une boîte de pâté made in Périgord par belle-maman et du pain à moitié frais. Dès le premier jour, nous avons découvert une des coutumes locales, le pain « froid », c’est à dire, par un de ces étranges euphémismes dont nous apprendrons peu à peu la signification, du pain de la veille. Nouveaux venus dans le village, nous avons été victimes de cet usage inhospitalier qui consiste à refiler les restes aux gens de passage, gardant pour les natifs le pain « chaud ». 
C’est le premier janvier 1980, le temps est clair et doux, et nous venons d’arriver dans cet appartement lumineux mais exigu, installé au dessus de la mairie et attenant au cabinet dentaire que Michel a racheté à un confrère aussi insouciant qu’original. Les déménageurs ont déposé la veille nos meubles et cartons dans un désordre d’autant plus marqué que nous n’étions pas là pour les réceptionner. Nous sommes arrivés le matin même, et avons fait quelques modestes emplettes pour déjeuner, et ce repas de fête sommaire sera notre première vraie journée à Pérignac. Mariés depuis presque 4 ans, nous vivions jusque là à Pau, où Michel était collaborateur chez un confrère, pendant que je terminais mes études de droit et d’économie. Mais cette situation devenait précaire, et nous avons décidé, avec un enthousiasme limité, de sauter le pas, et de nous installer « pour de bon ». Nous avions modérément envie de devenir vraiment adultes, mais il fallait bien franchir le cap et abandonner notre état de semi-étudiants, insouciants et sans attache.
Après une période assez exaltante de recherche,  c’est toujours amusant de visiter des cabinets dentaires, de découvrir des modes d’exercice différents, de rêver aussi à des implantations nouvelles, notre choix s’est arrêté sur ce modeste bourg de Charente Maritime, peut-être parce que nous pensions qu’il y avait là un potentiel de clientèle à développer (ô la naïveté de la jeunesse qui croit toujours qu’elle fera mieux que ses aînés), à moins que ce ne soit à cause de notre passion pour les églises romanes. Ce serait moins respectable, car un peu farfelu comme motif d’investissement professionnel, mais la Saintonge romane exerçait sur nous une véritable attraction, et n’a à cet égard rien perdu de son charme.

L’église du village, fortifiée au XIVème siècle, dégage une puissance évocatrice particulière. De taille plus imposante que les autres sanctuaires de la région, elle ne présente pas la façade saintongeaise traditionnelle, et développe un schéma iconographique particulièrement riche.  Au-dessus du portail repris en sous-œuvre à l’époque gothique, se déploie une double série d’arcatures. La galerie inférieure représente les douze apôtres, entourant la Vierge, sous des arcs brisés bordés de pointes de diamant et séparés par de fines colonnettes qui encadrent un pilastre léger. Au-dessus, les arcs beaucoup plus riches avec leur ornementation de feuillages en rinceaux et d’animaux sculptés abritent un schéma cher aux sculpteurs locaux : les Vertus terrassant les vices. Huit élégantes statues aux longs manteaux, armées de lances ou d’épées, le bouclier levé, casquées ou nimbées, terrassent les figures sataniques grimaçantes sans effort apparent. Certaines sont restées inachevées, et trois blocs de pierre en attente d’être sculptées complètent la rangée. Si la façade était ravalée, on aurait l’impression qu’on vient de découvrir le chantier en cours, revenant par une illusion émouvante à ce temps prolifique « où les cathédrales étaient blanches ». Au centre de cette suite de guerrières altières, s’élève une fenêtre en plein cintre, plus haute et plus large que les niches qu’elle encadre, surmontée par une voussure à têtes de chevaux, tous les claveaux étant soigneusement taillés avec naseaux, yeux pétillants et oreilles vibrantes. Le pignon, jadis triangulaire, et orné d’une foule de petits motifs en modillons éparpillés, a été aplati lors de la fortification, tronqué sans grâce, et terminé à la hâte par une corniche sommaire. Il a cependant conservé la mandorle de l’Ascension du Christ, flanquée de deux anges étêtés posés sur de légers nuages, et d’une pierre de remploi dissymétrique, dont l’ange contraste avec les autres par son statisme et sa lourdeur.

L’ensemble a de l’ampleur, avec un côté mystique et didactique à la fois, mêlant sans complexe le discours vaguement prosélyte de ces Vertus triomphantes au charme naturaliste de ces équidés prisonniers de leurs claveaux, comme alignés sur le même mors de bride. La place devant l’édifice est vaste, et il est tout à fait loisible aux touristes de prendre le recul nécessaire pour admirer la façade. Sur le côté droit, surélevée de quelques marches qui furent moussues, mais que le zèle intempestif des élus locaux a récemment refaites dans le plus sinistre alignement, s’étend la place des marronniers. A gauche, séparée de l’esplanade par une barrière sans élégance, se dresse dans un bâtiment du plus pur style Jules Ferry, l’école primaire. Lorsque nous sommes arrivés, elle était encore dans un état approximatif, et mon père s’était écrié avec émotion en contemplant son portail branlant : « Voilà l’école qui accueillera mes petits enfants ! ».

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