Rechercher dans ce blog

samedi 23 octobre 2010

EDUCATION A LA MAISON 9

Pour nous enfin, Michel lira mes lignes et les complètera avec précision et je sais qu’il aura à cœur de ne laisser aucune approximation entacher mon récit. Quant à moi, j’éprouve l’intense besoin de clore ce chapitre de notre vie par une relecture sans complaisance mais que j’espère positive de ces années un peu hors du temps. Cela me permettra d’exorciser les angoisses, de reprendre pied dans un réel normalisé et surtout de faire le point. Une telle aventure, qui a tout de même duré plus de 15 ans, laisse un peu sur le flanc. On y consacre toutes ses forces vives, puis un beau matin il faut reprendre une route plus simple, il faut se reconstituer une autonomie, une indépendance, il faut se retrouver des raisons d’avancer dans un contexte devenu soudain étonnamment facile, bizarrement insipide. On regarde les années écoulées avec stupéfaction, saisi d’un doute : était-ce bien raisonnable ? Il a fallu tant de renoncements qu’il n’est pas évident de reprendre contact avec le désir, une recherche de plaisir qui ne passe plus par le goulet imposé de l’intérêt pédagogique. J’emploie à dessein le mot goulet, c’est un passage obligé, donc qui en tant que tel pourrait paraître réducteur. Mais il faut reconnaître aussi que cela simplifie les choix, on connaît l’objectif visé et tout devient évident, les décisions s’imposent d’elles-mêmes. Quand on a admis qu’il fallait renoncer à toute ambition personnelle, quand on a décidé de canaliser toute son énergie vers ce but exaltant d’éveiller de jeunes consciences, de leur fournir matière à vivre et à vibrer, on avance joyeusement sur le terrain de l’abnégation. Cela n’a rien de réducteur. C’est un choix délibéré et très enthousiasmant. On finit par s’y plier sans réfléchir. 
Et voilà qu’un beau matin, il faut de nouveau agir pour soi, avoir d’autres projets, reprendre pied dans le normal, retrouver ses marques aussi. Car on a un peu l’impression de s’être arrêté 15 ans plus tôt, en ce qui concerne son propre épanouissement. C’est un baby-blues géant, vous savez cette période un peu dépressive que vivent les jeunes mamans après leur accouchement. D’avoir attendu bébé pendant neuf mois, d’avoir adopté un rythme de vie fusionnel avec ce fœtus réel, enfant virtuel qui grandissait en elles, les laisse désemparées devant un quotidien tout à coup fort agité. Mais pour le baby blues c’est simple, les obligations matérielles s’imposent et nécessité fait loi. Très vite il faut réagir, nourrir, bercer, cajoler, changer, laver, bref s’occuper de ce bébé qui lui ne souffre d’aucune dépression naissante. L’action permet de triompher du vague à l’âme. Pour moi ce fut plutôt l’inaction qui m’engluait, et je disais à qui voulait l’entendre que j’avais soudain l’impression de me retrouver à la retraite. 
C’est bien cela qui s’est passé, une sorte de syndrome du retraité. Perte d’identité sociale en même temps que baisse brutale d’activité. Il était d’autant important de redémarrer avec entrain que nos filles, propulsées vers des études plutôt brillantes, ne pouvaient se voir infliger au retour à la maison des parents légumes, soudain privés de toute capacité d’ouverture d’esprit. Il fallait aussi que Michel et moi nous reconstituions notre couple. Non que l’expérience l’ait mis à mal, mais nous étions tellement devenus l’entité « parents » et l’entité « professeurs » que nous avions oublié d’autres dimensions de notre connivence antérieure. Cette dimension fut paradoxalement celle qui revint le plus vite, au grand dam de nos filles qui se sentirent parfois exclues de notre nouvelle vie. Nous avions surmonté ensemble une telle gageure que l’avenir ne pouvait qu’être lumineux. Nous nous sommes retrouvés comme au début de notre route commune, simplement plus forts, plus unis par cette expérience si fermement partagée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire